FESTIVAL DE DEAUVILLE : DAMIEN BONNARD, VIRTUOSE ET INSOUMIS

Damien Bonnard technikart

Vu dans Les Misérables ou Dunkerque, l’excellent Damien Bonnard, acteur studieux, est un des jurés du 50e festival du cinéma américain de Deauville. Entre deux cigarettes, on lui a posé quelques petites questions.

Vous tournez régulièrement avec des cinéastes anglo-saxons comme Wes Anderson, Christopher Nolan…
Damien Bonnard : Ou encore Nathan Silver. Pour The French Dispatch, je devais n’avoir qu’une seule journée de travail. Aux essais, Wes Anderson me demande si je peux porter une moustache. Puis, si je veux un œil crevé. Je dis oui, mais je demande si je peux avoir aussi une pipe. Au bout de deux heures, il me dit que ce n’est plus du tout le même personnage et qu’il va me réécrire des scènes. J’ai donc tourné une semaine ! Wes m’a rappelé pour Asteroid City. Il m’a demandé si je pouvais être muet, j’ai répondu « bien sûr, j’arrive. » Je suis le garde du corps de Scarlett Johansson et je suis quasiment dans tous les plans, au fond, derrière. Avec Wes Anderson, c’est une histoire de famille. Son équipe est complètement dévouée, au service du film, ce qui n’est pas le cas sur tous les films, même de la part des comédiens, et c’est un gros problème.

Et Dunkerque ?
J’ai travaillé cinq jours. Je suis au début du film, je fais passer une barricade au héros joué par Harry Styles. On a beaucoup plus tourné, mais Christopher Nolan a coupé et à juste titre. C’était une super expérience, comme avec Wes. Christopher Nolan est un incroyable cinéaste. Il porte un grand manteau noir, il met sa thermos de café dans une poche, son scénario dans l’autre. Pas d’assistant pour aller lui chercher un café, il fait son film ! De plus, il n’a pas de combo, il est collé à la caméra. Il tourne un film à 165 millions, en 70 mm, car il croit à la magie de la pellicule et ne se borde pas en regardant ses prises. C’est magique !

C’est quoi cette amitié avec Emma Stone ?
On s’entend bien (rires). On a fait deux films de Yórgos Lánthimos ensemble, dont un, Bleat, un court-métrage que très peu de gens ont vu. C’est un film muet, en noir et blanc, tourné en Grèce, en pellicule. Yórgos le présente lors de séances spéciales, avec un ensemble de violons, un chœur grec. Il y a eu une projection à Athènes, à New York, j’aimerais bien qu’on le présente partout maintenant.

Vous avez tourné avec d’autres cinéastes étrangers ?
Un avec l’Espagnol Pedro Aguilera, « Splendide Hôtel, un voyant en enfer », visible sur Arte et YouTube, et le prochain Kiyoshi Kurosawa, tourné en France, La Voie du serpent, un film de vengeance pure où je tue plein de de gens qui sortira au printemps prochain… Et je vais faire le prochain Nathan Silver.

Vous avez tourné 87 films.
Il y a beaucoup de courts-métrages. L’année dernière, j’ai tourné cinq films et j’ai fini sur les genoux.

De plus, vous vous préparez beaucoup.
Je travaille en amont avec deux coachs. Je ne sais pas fabriquer, je ne sais pas faire semblant de rire par exemple. Pour le Kurosawa, mon personnage était complexe, sa fille a été découpée en morceaux, j’ai donc décidé de m’épuiser et de dormir 90 minutes par nuit. La fatigue m’a aidé à lâcher prise. Pendant la prépa des Intranquilles, j’ai passé beaucoup de temps à Saint-Anne, j’ai rencontré plein de patients…

Votre parcours est très atypique, vous avez débuté dans le cinéma à 33 ans.
J’ai fait pas mal de jobs avant, des chantiers, puis je suis devenu coursier. Parmi les clients, il y avait des boîtes de production. J’ai demandé à faire de la figuration, des courts-métrages, et j’ai appris sur le tas, avec quelques stages et des cours privés. J’ai donc fait figurant, puis silhouette, second rôle et le film d’Alain Guiraudie, Rester vertical.

Vous êtes à votre place maintenant ?
(Il hésite) Oui, je crois… Je n’ai jamais tourné pour l’argent, je n’ai jamais cachetonné, je ne veux pas faire de compromis, je préférerais changer de voie, travailler dans les fleurs. Mais je crois que je peux encore améliorer des choses. Je commence à produire maintenant, à développer des œuvres dans tous les arts et à prendre des risques sur mes fonds propres.  

Vous êtes cinéphile ?
Totalement. Je regarde tout, du cinéma muet à nos jours, tous les genres, tous les pays. J’aime Robert Altman, Sidney Lumet, Jonathan Glazer, David Cronenberg, James Gray jusqu’à Two Lovers… Je suis très fan de Joaquin Phoenix, il est vraiment bouleversant, comme Gena Rowlands ou Vicky Krieps.


Par Marc Godin
Photo : Camila Canali