FRANÇOIS HOLLANDE : « NON, JE NE SUIS PAS BOUDDHISTE ! »

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À la veille de la présidentielle 2012, Technikart se demandait : « Ce mec est-il vraiment normal ? » Aujourd’hui, alors que l’ex-chef d’état s’est « mis au service du PS », nous sommes retournés le voir pour sonder ses ambitions pour 2027…

Nous nous rencontrons au lendemain d’un discours d’Emmanuel Macron sur la situation en Ukraine vis-à-vis de Donald Trump et de Vladimir Poutine. Qu’en avez vous pensé ?
François Hollande : Il était nécessaire. Je trouve qu’il a raison d’insister sur le danger que représente Vladimir Poutine, que l’on connaît. Peut-être Emmanuel Macron l’avait-il sous-estimé pendant toute une période. 

Pas vous ?
Depuis l’invasion de l’Ukraine, je n’ai pas de doute sur ce que veut faire Poutine. Je n’en ai jamais eu, d’ailleurs. Il désire reconstituer morceau par morceau ce qu’était l’Union soviétique. Et notre principal allié, celui sur lequel le continent européen s’était reposé, peut-être trop langoureusement, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec Donald Trump, se dérobe…

Ce retrait des États-Unis s’est cristallisé avec l’humiliation en règle de Volodymyr Zelensky dans l’Oval Office. Qu’avez-vous pensé en découvrant ces images ?
Je me suis dit qu’il n’y avait plus aucune règle protocolaire ni diplomatique. C’est non seulement une entorse à toutes les règles de bienséance diplomatique, mais c’était une mise en scène voulue, délibérée, pour à la fois intimider Zelensky, ensuite le soumettre, et enfin le disqualifier. Cette scène a eu un effet considérable sur toutes les opinions publiques dans le monde. Elle a montré qu’il y avait une mise en cause de la démocratie elle-même.

Le lendemain, quelqu’un que vous connaissez, Alastair Campbell (conseiller de Tony Blair devenu animateur à succès du podcast The Rest Is Politics), disait qu’il n’avait jamais vu un chef d’État se comporter ainsi – sauf, une fois, Poutine avec Blair (mais c’était en privé).
Oui. Moi-même, j’ai eu des conversations qui ont pu être orageuses avec Vladimir Poutine. Mais hors caméra. Là, en l’occurrence, dans la scène du Bureau Ovale, il s’agissait de deux pays qui étaient théoriquement liés l’un à l’autre, et qui partageaient des valeurs démocratiques. Plus qu’un incident diplomatique, c’était une rupture. Une rupture d’alliance et une rupture de règles fondées sur des principes de démocratie. 

En 2014, lors de l’annexion de la Crimée, vous réclamiez davantage de pouvoir pour l’Union Européenne. Mais la seule vraie solution, si l’Europe devait se passer de son allié historique, serait un réarmement nucléaire, non ?
Non. La solution, c’est un réarmement avec des forces conventionnelles capables de répondre à une attaque, qui pourrait être de cette nature-là, sur une frontière européenne ou une frontière de l’OTAN. La protection nucléaire, qui était apportée par les États-Unis, n’a pas encore été retirée. Donald Trump n’a pas, jusqu’à nouvel ordre, dénoncé l’article 5 du Traité de l’Alliance Atlantique…

En 2011, alors que vous étiez candidat à la présidentielle, vous disiez dans Technikart : « Un président ne doit être ni un enragé ni un psychopathe ». Aujourd’hui, alors que nous sommes dans une ère ultra-populiste, est-ce toujours le cas ?
C’est plus que jamais vrai… Je pense qu’en 2027, les Français auront à réfléchir sur la personne disposant – parce qu’il serait le chef de l’État et donc le chef des armées – des moyens de la force. Cette personne devra avoir les qualités requises pour ne connaître ni emportement ni effacement.

Donc vous êtes en train de nous annoncer votre candidature ?
Non (grand sourire), je donne des critères…

Merci pour ce scoop.
Non, non, non ! Je dis que nous ne sommes plus dans une période paisible, où la force a été écartée, où le multilatéralisme s’est installé, où l’Europe est unie. Tout ça est un autre temps – temps qui reviendra peut-être. Mais nous n’en sommes pas là aujourd’hui.

Parce que si vous vous présentez pour 2027, vous aurez un point en commun très important avec Donald Trump et avec Vladimir Poutine…
Ah ?

Il s’agirait du deuxième mandat d’un chef d’État ayant été éloigné du pouvoir pendant quelques années – Poutine ayant laissé sa place à son premier vice-président Medvedev en 2008, et Trump à son rival Joe Biden en 2020… Chacun des deux est revenu sacrément « turbochargé ». Et vous, si jamais…
(Il coupe.) Nous sommes en 2025. La question des candidatures, au sens des personnes qui peuvent s’annoncer, tout cela me paraît prématuré, presque décalé, par rapport à l’inquiétude des Français.

D’accord. Et comment le PS peut-il séduire la nouvelle génération d’électeurs, le plus souvent séduite par La France Insoumise ou le Rassemblement National ?
Les partis politiques traditionnels ne se sont plus investis autant qu’il aurait fallu dans la proposition, les idées… Le travail militant se fait dans des conditions plus difficiles, compte tenu des réseaux sociaux, de la perte des corps intermédiaires… Et il y a eu une poussée des formations les plus extrêmes, même si je ne les confonds pas.

Le problème du PS n’est-il pas qu’il ne réussit plus à promettre une certaine utopie ?
En 2011, l’utopie, on l’avait, sans avoir besoin de chercher très longtemps. C’était d’avoir une planète protégée. C’était d’avoir une organisation de notre vie en commun qui soit plus harmonieuse, plus souple, plus libre, et qui fasse du travail une activité qui donne du sens. Mais l’utopie, c’est une projection. Et c’est parce qu’il n’y a plus cette projection que l’immédiateté s’est installée…

Parlons de votre grand péché mignon professionnel…
Ah ?

Celui de ne pas résister au plaisir de sortir une bonne blague lorsque vous vous trouvez devant des journalistes. Vous contrôlez-vous davantage aujourd’hui ?
Pour répondre sérieusement à une question qui ne l’est pas, l’humour est une forme d’esprit qui fait partie de la vie politique. Ce serait dommage que notre vie en commun – et la politique en fait partie – soit dépourvue de ce trait. L’humour ne peut pas être simplement confié à des spécialistes.

On pense à Gérard Davet et Fabrice Lhomme du Monde – les Paul-Loup Sulitzer du journalisme politique –, à qui vous avez accordé beaucoup de temps, et qui vous ont trahi avec leur livre (Un Président ne devrait pas dire ça…, 2016). D’ailleurs, comment faites-vous pour pardonner tous ces journalistes qui vous trahissent ? Êtes-vous devenu bouddhiste ?
Sur la dernière partie de votre question, je ne veux pas mécontenter les Bouddhistes, mais je ne les ai pas rejoints. Je suis resté socialiste – si tant est que ce soit une religion, ce que je ne crois pas. Les journalistes, j’ai toujours considéré qu’ils étaient libres. Les vraies trahisons ne sont pas les leurs…

Il y a prescription aujourd’hui, alors vous pouvez tout nous dire : comment votre mentor Jacques Attali a-t-il convaincu Coluche de ne pas se présenter face à Mitterrand en 1981 ? Que lui a-t-il dit lors du fameux dîner auquel il l’a convié à quelques mois de la présidentielle ?
Je ne sais pas, je n’y étais pas. Mais ce qui m’avait frappé avec la candidature de Coluche, c’est qu’il y avait des grandes signatures intellectuelles qui le soutenaient : Bourdieu, Guattari, Deleuze… Sûrement parce qu’ils avaient une revanche à prendre sur la politique traditionnelle. Quant à sa décision de ne plus se présenter, c’est Coluche, peut-être, qui s’est dit : « Non, la politique, ça appartient aux politiques. Et je n’ai pas le droit de remettre en cause les fondements même de la démocratie. On ne peut pas rire de tout. »

Sa candidature appelait les « crasseux, les pédés, les gouines, les drogués, les alcoolos, les jeunes, les artistes, les anar’, les punks » à aller aux urnes… Aujourd’hui, plus personne ne s’intéresse à nous !
Malgré tout ce qu’on vient de dire – la brutalité du monde, la menace qui pèse sur la démocratie, la crise planétaire et la détérioration de la vie en commun –, je reste optimiste parce que je crois en la politique. Reste à convaincre la jeunesse…


Entretien Adèle Thiéry
& Laurence Rémila
Photo Gabrielle Langevin