GÉRARD DARMON : « MON COUSCOUS, LA WEED ET MOI ! »

Gérard Darmon

Sinatra, le whisky tourbé, les joints, la bidoche… Entre deux tournages, le crooner-acteur à la tignasse blanc de lait a rencontré Grand Seigneur pour parler couscous au beurre et turpitudes de l’existence. Morceaux choisis.

Gérard Darmon, vous tenez le premier rôle de Vous êtes jeunes, vous êtes beaux, un film stupéfiant sur la vieillesse et la mort, qui sortira prochainement en DVD*. Aviez-vous été sensibilisé au sujet dans votre entourage, votre vie personnelle, avant de tourner ?
Gérard Darmon : Oui bien sûr, durant les derniers mois de la vie de mon père. Ça n’était pas dans un hospice, mais quelque chose de plus confortable. Je ne pouvais pas m’occuper de lui à ce moment-là… La vieillesse, j’y suis moi-même confronté, désormais. Lorsque l’on avance dans l’âge (nldr, il fête ce mois-ci ses 72 ans), on se fait des scénarios un peu catastrophe, on se dit qu’on arrive au bord d’un trou noir. Il faut passer à autre chose, lâcher prise.

Vous croyez en Dieu. La foi, c’est aussi un dialogue avec soi et les autres, une forme de thérapie ?
G.D. : Mais moi, je n’ai jamais fait de thérapie ! J’ai un regard distancié, un peu amusé sur la psychanalyse, même si je ne veux pas dire du mal de quelque chose que je ne connais pas. Peut-être que d’une façon un peu présomptueuse, je me suis dit que j’allais m’en sortir tout seul, avec des solutions bric-à-brac, bouts de ficelle… Et au final, tout ne va pas si mal que ça. Vous savez, j’avais un ami qui avait fait une quinzaine d’années de thérapie et un jour, je lui ai posé la question de savoir s’il allait bien. Il m’a répondu « je sais pas si je vais mieux, mais en tout cas, ça m’a permis de considérer que le couscous de ma mère n’est pas forcément le meilleur ».

C’est aussi votre cas ?
G.D. : Moi, je le sais depuis longtemps ! Sauf que ce couscous comportait un ingrédient qu’on ne retrouve pas ailleurs : le regard, l’amour avec lequel il a été mitonné. 4 heures de préparation, tout de même. Et je ne vous parle même pas de la dafina, un plat qui mijote durant 24 heures. C’est un genre de ragoût à base de haricots blancs cuits toute une nuit avec une pièce de bœuf, des œufs qui virent marron au fil de la cuisson, des pommes de terre, de l’ail, éventuellement des dattes… Il faut que les haricots deviennent presque confiturés, c’est à la fois un délice et une lourdeur absolus. Je ne sais pas du tout la préparer, je ne cuisine pas. La seule chose que je fais, c’est pétrir le pain, celui de shabbat. Ce que j’adore aussi, ce sont les boulettes, celles sur lesquelles vous tombez en ouvrant le frigo quand vous rentrez chez vous, avec l’estomac dans les talons, vers 2–3 heures du matin. Mais vraiment, le totem ultime, ça reste le couscous. Celui au beurre, qu’on prépare après les fêtes de Pâques. Celui des Tunisiens, qui utilisent des fèves. Celui des Kabyles, qui ajoutent du lait caillé et du sucre. Ça, c’est magnifique.

Il paraît que vous êtes très « bec sucré »…
G.D. : C’est vrai, j’adore le makroud ! C’est une pâtisserie miellée aux graines de sésame. Il y en a qui mettent des dattes, moi je l’aime bien sans, un peu tendre. De manière générale, j’adore le sucre, j’ai fumé beaucoup d’herbe pendant près de 40 ans, et forcément, j’en avais besoin. Très souvent, j’ai pris ma bagnole ou mon scooter pour aller à Pigalle, il y avait un petit truc algérien là-bas, je m’y fournissais en pâtisseries.

C’est vrai que votre père était marchand de vins ?
G.D. : Disons que mon père était, entre autres, marchand de vin. Il avait un chai à la Halle aux vins, qui n’existe plus maintenant. il parcourait toute l’Europe, principalement la France et l’Allemagne, avec son vin. Il en importait d’Algérie et en avait même un à lui. J’avais le droit d’y goûter avec un peu d’eau.

Vous êtes également un amateur de whiskies…
G.D. : Oui, j’aime bien aller à la Maison du Whisky, il y a une buvette déguisée où on peut découvrir de jolies choses. J’y ai gouté l’Octomore, qui est le plus tourbé du monde. Rien à voir avec le Jack Daniel’s, par lequel j’ai commencé. Un peu comme un benêt, parce que c’était celui de Sinatra… J’ai eu l’occasion d’en boire un ou deux avec lui lorsque je l’ai rencontré à la Mairie de Paris, grâce à Claude Chirac. On s’est ensuite revus dans un resto italien, après son concert au Palais des Congrès. Il s’est intéressé à ce que je faisais, d’une façon extrêmement polie, en me posant la main sur l’épaule. Je suis difficilement ébranlable en général, mais là… C’est Frank Sinatra, quoi, pas Guy Marchand. Il aimait ma tessiture, apparemment, et m’a tout de suite demandé ce que j’avais envie de boire. J’ai répondu « comme vous, un Jack ». Alors, il est allé chercher une bouteille, planquée sous une table aux longues nappes. Il avait sorti son petit paquet de Camel sans filtres, m’en a offerte une. On a fumé et bu ensemble. On n’a pas entamé de discussion de fond, je ne maîtrise pas suffisamment l’anglais pour ça. Et puis, c’était une rencontre de plus, sur des milliers et des milliers qu’il a faites. Mais il a dû sentir le vent de sincérité et d’admiration. Sûrement pour ça qu’il s’est un peu plus occupé de moi. Je ne l’ai pas revu aux États-Unis mais quand je suis arrivé à Los Angeles, j’ai loué une bagnole, je suis descendu dans un supermarché et là, je suis tombé en pamoison devant un tableau, dans une galerie de peinture. C’était un tableau de Sinatra. Tout de même dingue, non ?


« J’AVAIS UN DEALER DE PÂTISSERIES À PIGALLE »

Gerard Darmon

En effet ! Au fait, vous tournez, bientôt ?
G.D. : J’ai des projets qui doivent arriver, dont un qui a un peu tardé, avec Claude Lelouch et Bernard Tapie. Et puis, il y a la saison 2 de Family Business. Jonathan Cohen joue le personnage principal (ndlr, un entrepreneur à la ramasse qui, apprenant que le cannabis est sur le point d’être légalisé, entreprend de faire de la boucherie casher de son père, incarné par Gérard Darmon, un coffee-shop sauce hollandaise). C’est un garçon vraiment très doué. En plus, il pourrait être mon fils, par son âge et même son physique !

Pourquoi Family Business, qui se déroule dans une famille de bouchers, ne montre pas plus la viande, de scènes de découpes, etc ?
G.D. :
On parle quand même pas mal de bidoche dans les premiers épisodes ! Vous savez, dans une autre vie j’ai eu un beau-père qui était une star de la boucherie à Paris. Il en avait une rue Marbeuf – où venait parfois Marlène Dietrich – et deux autres, parce qu’il était malin, dans des quartiers très populaires. Il avait compris que c’est là-bas que l’on mange la meilleure des viandes, lorsqu’il arrive qu’on ait un peu d’argent. Manger peu, mais manger bien, quoi. Il se levait à minuit tous les jours, et j’allais très souvent avec lui à Rungis. On y débarquait à 1h du matin, moi j’en étais à mon vingtième joint, il ne le savait pas. Il regardait les agneaux : « Allez, mets-moi le 26… Ah non, le 27 ! ». Et quand il voyait les autres se faire livrer à 11h du matin dans des camions frigorifiés, il me sortait « ça, c’est pas des bouchers ». Je l’ai vu travailler, manier le couteau, c’était incroyable. Un artiste. Le Sinatra de la bidoche !

* Vous êtes jeunes, vous êtes beaux, en DVD le 31 mars.


Par Olivier Malnuit

Photo Eddy Briere