Rodin par Steichen : photomagique

Gosia Nowara, conservatrice Section Beaux Arts du Musée National d’Histoire et d’Art du Luxembourg nous raconte le regard inédit du photographe Steichent sur l’oeuvre de son ami Rodin.

Que dire de l’influence de Rodin sur le travail de Steichen ? Simple admiration ou réel échange ?

La relation Steichen et Rodin est très belle, une relation d’artistes,  mais il était aussi le protégé de Rodin et un de ses pères de  substitution, « son Maître ».

(Comme l’a également souligné Mme Hélène Pinet, Steichen avait une certaine influence sur les photographes avec lesquels il travaillait.)

Sur la relation entre Rodin et Steichen, nous pouvons notamment lire dans le catalogue d’exposition  » Steichen, une épopée photographique. (BRANDOW, T., EWING W. A.), Paris, Jeu de Paume, 9.10-30.12.2007, p.87:  » Titre du chapitre: Relations de travail: – Portraits d’hommes  » Un jour de 1901, Auguste Rodin entre dans son atelier à Meudon où il trouve le jeune Steichen en larmes, déchiré par des doutes sur son travail et sur son rôle d’artiste. Mettant son bras sur les épaules de son protégé, qu’il appelle « mon fils », Rodin lui dit: Maintenant, je sais que vous avez l’étoffe d’un grand artiste. Si je ne traversais pas encore de tels moments, je saurais que c’en est fini pour moi » (Citation reprise de son beau-frère Carl Sandbourg, très grand ami également : SANDBOURG, C., Steichen: The Photographer, New York, Harcourt, Brace, 1929, p.26.). « Rodin était l’un des deux pères de substitution de Steichen, l’autre
étant le père de Stieglitz, Edward. »

Il y a une réelle admiration, mais également une grande et longue amitié.

Rodin était très attentif à l’interprétation des son oeuvre par les photographes. Interprétation qui renouvelait le regard porté sur ses sculptures et donc leur interprétation.De l’autre côté, des artistes comme Steichen, ou encore le poète R.M. Rilke et bien d’autres, trouvaient en Rodin une figure du père mais
aussi une rigueur et une force de travail qui les stimulaient.

Le regard de Steichen sur le Balzac de Rodin est d’une beauté à couper le souffle, pourtant cette œuvre était décriée en France, qu’avait il vu ?

Steichen a vu dans cette oeuvre une création artistique unique, celle qui l’amena jusqu’à Paris. Dans le même catalogue, p.87:  » Lorsque Staichen arrive à Paris, son premier souci est de se rendre au Pavillon de Rodin, place de l’Alma, que le sculpteur avait installé en réponse à l’Exposition universelle de 1900. Steichen y découvre son Balzac, la statue qui avait suscité de telles controverses et qu’on avait ralliée en la comparant à un sac de farine avec une tête collée sur le dessus , Steichen trouve le Balzac encore plus merveilleux qu’il ne l’avait imaginé, ‘un hommage au génie, une montagne qui prend vie’ (Citation reprise de son  autobiographie : Steichen, E., A Life in Photography, chapitre II, s.p.).

« Le peintre Fritz Thaulow présente Steichen à Rodin, à Meudon, en 1901. Après le dîner au jardin, le sculpteur consulte le portfolio du jeune artiste. Peu bavard, Rodin prend la main de Steichen dans la sienne en signe d’approbation tacite. Quand il a terminé, Steichen lui confie que sa plus grande ambition est de photographier son « cher Maître ». Eclatant de rire, Rodin dit en aparté à Thaulow: ‘L’enthousiasme n’est pas encore mort.’, puis invite le jeune artiste à lui rendre visite les samedis après-midi, qu’il réserve pour recevoir amis et invités. (…) Il se passe une année pendant laquelle il se rend à Meudon presque tous les samedis, observant longuement Rodin et le suivant comme une ombre tandis qu’il travaille au milieu de ses sculptures (…). »

Les photographies prises par Steichen du Balzac assument clairement l’aspect lubrique de cette sculpture pointée vers la Lune, que faut-il comprendre ?

Steichen aimait jouer avec la lumière et dans ce cas, il s’agit de la lumière naturelle de la lune. Pendant la nuit, il a expérimenté en jouant avec la lumière de la lune, en ne sachant pas quel serait le résultat obtenu. (Les photographies de Steichen sont toujours très expressives, intimes, il se dévoile lui-même un peu à travers son art.)

Sans doute voulez-vous évoquer la forme phallique du Balzac.

Au delà de l’aspect purement esthétique, la modernité de la technique est impressionnante, ce qui rend ces photos extrêmement actuelles, Steichen est-il un des pionniers de la photographies moderne ?

Oui, Steichen aimait expérimenter dans ces photos différentes techniques pour avoir des effets particuliers, surtout durant sa phase pictorialiste. De nos jours, souvent, il est encore difficile de détecter toutes les subtilités techniques de ces tirages.

Enfin, sur la photographie qui met en scène, Rodin, le Penseur et Le Victor Hugo, on peut déceler une trinité très chrétienne, l’artiste et l’art révèlent-ils du divin pour Steichen ?

Rodin ne prête guère attention au jeune photographe, qui ne fait ce jour-là que quatre portraits (…) Steichen réussit à faire asseoir Rodin devant la statue en marbre blanc de Victor Hugo, éclairée par le ciel, et face au Penseur. Il constate que son objectif Rapid Rectilinear est trop étroit pour embrasser la scène convoitée.  Aussi réalise-t-il  deux négatifs, l’un de Rodin devant la statue de Hugo et l’autre du Penseur seul, imaginant qu’il pourra combiner ensuite les négatifs en une épreuve unique.

N’ayant pas au départ, les connaissances techniques pour tirer les deux négatifs ensemble, Steichen découpe et colle les deux épreuves. Lorsqu’il découvre l’image, Rodin est ravi. Observant l’épreuve combinée en compagnie de Judith Cladel, le sculpteur éclate de rire lorsqu’elle lui dit que le portrait le représente entre Dieu (Hugo) et le diable (le Penseur) (Note reprise de Steichen, E., A Life in Photography, chapitre II, s.p.). Steichen a également photographier de nombreuses personnalités du monde artistique et littéraire (Maurice Maeterlinck, Franz von Lenbach, Alphonse Mucha etc.). Il dira à ce sujet: « Mon ambition est de produire une galerie de photographies de personnages illustres – puis de présenter une série d’images agrandies à un grand musée et de publier la même série sous forme de livre. Ce sera l’oeuvre de ma vie » (Citation reprise de: SANDBOURG, C., A Great and Glorious Romance. The
Story of Carl Sandbourg and Lilian Steichen, New York, Harcourt Brace
Jovanovich, 1978, p.54.).

Juppy