Fou de glisse, Jan Kounen, le réalisateur énervé de Dobermann, est passé du skate électrique à la wheel, monoroue ou roue électrique, un moyen ludique, léger et pratique de se déplacer en ville. Après la réalité alternative, il prône maintenant la mobilité alternative.
Comment es-tu devenu wheeler ?
Jan Kounen : J’étais d’abord un e-skateur, c’est-à-dire un pratiquant de skate électrique. C’est un truc de mômes, façon Retour vers le futur. D’un coup, tu as une télécommande sans fil, et ton skate avance tout seul, avec un moteur… Depuis 2014, je me balade dans Paris avec un petit gang de mecs qui font du skate électrique (Jan Kounen partage régulièrement les vidéos de ses sessions de glisse sur les réseaux sociaux, ndlr). Ça a été une vraie révolution dans ma façon de me déplacer, parce qu’il y a une dimension fun là-dedans : tu glisses dans la cité. Et donc, j’ai fait du skate, du skate, du skate… et j’avais toujours regardé la wheel comme l’arme absolue parce qu’avec, a priori, tu peux sortir même quand il pleut, ce qui n’est pas trop le cas en skate électrique. Pendant le premier confinement, en mars, j’étais à la campagne, et mon frère avait récupéré des petites monoroues électriques. Un jour, je lui demandé de m’en envoyer une. C’est comme ça que j’ai appris à en faire. J’ai fait 3000 bornes dans des chemins où il n’y avait personne, en me générant des autorisations de sortie sur mon téléphone. Si je retiens un truc positif de ce printemps, c’est que j’ai appris à faire de la wheel ! Depuis, je retourne faire du skate avec mes potes, pour le fun, mais pour me balader dans la cité quel que soit le temps, c’est la wheel. Je l’ai testée sous la drache, en Bourgogne, et j’ai constaté que tu n’es pas plus mouillé qu’en vélo, voire moins, puisque que tu as la roue au centre, et les pieds sur les cale-pieds. Et je me suis dit ben voilà fini, on va arrêter de cramer de l’essence, et j’ai vendu ma moto pour acheter une roue un peu plus importante – celle que j’ai aujourd’hui.
Tu aimes bien tester les révolutions au quotidien. Avant la wheel, tu t’étais intéressé à la vapote, et tu y es allé à fond…
Moi, je suis curieux de plein de choses. Donc je les essaie. Et parfois, l’une d’elles devient importante pour moi au point de me donner envie d’en faire un film. C’est mon côté militant. Cela a été le cas avec la cigarette électronique. Moi qui étais fumeur, je me suis rendu compte que grâce au vapotage, je pouvais arrêter de fumer facilement tout en continuant à avoir du plaisir avec la nicotine, qui n’est pas très dangereuse en fait, c’est comme la caféine… ce sont les autres substances qui sont dangereuses. Bref. En m’intéressant à la vape, j’ai rencontré toute une communauté, j’ai pu accéder à plein d’infos, et comme je suis cinéaste, à un moment donné, j’ai voulu partager ce que j’apprenais. Cela a donné Vape Wave (documentaire sorti en salles en 2017 sur la vape en tant que révolution culturelle, ndlr).
Alors, ton prochain doc sera consacré à la wheel ?
Non, j’ai arrêté les docus militants à la rencontre des gens parce que Vape Wave m’a pris deux ans et demi de ma vie, c’est trop difficile. Je l’ai fait une fois, je ne le referai plus. En revanche, je pense que je mettrai des wheels ou des skates électriques dans une prochaine fiction, tout simplement parce que tu mets toujours dans tes films les trucs qui te branchent. Or, je pense que ce genre de machine change la vie dans la cité, elle modifie notre rapport à la ville, au déplacement ; elle ramène du plaisir là-dedans, sans compter son aspect très pratique. La force d’un film, c’est que tu vas rencontrer très vite toute la communauté pour sa préparation : les pilotes, les champions, les préparateurs… parce que dans le monde du skate, comme de la vape, on trouve des inventeurs, des gens qui fabriquent eux-mêmes leurs machines, qui les customisent… C’est tout un univers. Pour l’instant, je n’ai pas de projet précis. J’ai juste une image en tête, celle d’un type qui aiguise une batte de baseball en acier, avec une lame, et se tient debout sur sa roue, un peu à la Rollerball… parce qu’on roule à 45km/h avec cette machine-là, en terrain privé. De la même manière qu’en skate électrique, une jolie image serait de montrer l’arrière d’un skate qui glisse, qui dérape, avec les moteurs qui font patiner, comme une image d’Epinal, avec en même temps des douilles qui tombent parce que le type, tout en slidant, vide le magasin d’une sulfateuse !
« JE PENSE QUE JE METTRAI DES WHEELS OU DES SKATES ÉLECTRIQUES DANS UNE PROCHAINE FICTION… »
Donc ton film serait une sorte de Mad Max parisien ?
Voilà ! Mais peut-être pas parisien, hein ! Et peut-être que je ferai un truc beaucoup plus bucolique, en fin de compte… Quoiqu’il en soit, ces machines m’inspirent, elles me donnent envie de filmer l’action d’une façon différente. À chaque fois que tu vois dix types harnachés qui commencent à rouler vite et à slider en skate électrique, il y a quelque chose d’un peu Mad Max, de fun, de différent. Et de très cinématographique.
Y a t-il une dimension green à ta passion ?
Oui, forcément. Dans la wheel, certes tu as une batterie, un peu d’électronique, mais ce n’est rien comparé à une moto. J’ai fait 14 000 bornes en skate, j’ai compté combien d’essence je n’avais pas cramé avec ma moto, et ça fait un paquet de litres. Au niveau de la consommation électrique, c’est comme si j’avais en permanence un ordinateur en plus qui charge chez moi, mais pas tellement plus que ça. Bon, là, j’étais en Corse, j’ai fait de l’enduro avec des motos thermiques. Mais, on se le disait avec la personne avec qui je roulais – lui a une voiture électrique, moi j’ai ma wheel –, avec une machine électrique, tu peux piloter avec autant de plaisir, dans le silence de la nature, tranquillement. Et tu pollues quand même beaucoup moins. En ce moment, il y a tout un bashing sur les moteurs électriques ; on nous fait croire qu’ils sont presque aussi polluants que les thermiques, mais c’est l’industrie automobile qui nous retourne la tête. Comme l’industrie du tabac l’a fait pour la vape. Ce sont les lobbies… Tu achètes un véhicule électrique, tu émets quand même beaucoup moins de CO2 qu’en roulant à l’essence.
Tu testes cette nouvelle wheel depuis quelques jours. Tes impressions ?
Cette machine est l’un des premiers modèles à suspension. Elle me permet surtout de faire du tout-terrain. Et en ville, ça aide s’il y a un trou dans la chaussée que tu ne vois pas le soir… Mais au niveau sensation, c’est très différent de la petite wheel que j’avais avant, qui était légère et tout. C’est toujours pareil, les roues, le skate, faut commencer par les petits modèles pas trop puissants, pour s’habituer, acquérir les réflexes. C’est comme le vélo : c’est pas très compliqué à apprendre, mais ça prend un peu de temps. Il faut que le corps enregistre l’information. Donc là, moi qui suis un jeune wheeler, un novice, avec mes 3000 bornes au compteur depuis mars, je suis un peu revenu en arrière. Hier, je me suis mis par terre. Ca faisait 2500 bornes que j’étais pas tombé. Juste parce que cette roue est beaucoup plus lourde que l’autre, et que ça ne se conduit pas pareil. Mais après, la wheel, c’est très sûr si tu ne pousses pas le moteur dans ses limites. Parce que c’est quand même qu’une seule roue. Sinon, ça s’appelle le cut off, c’est-à-dire que le moteur ne peut plus suivre. Il y a des mecs qui montent à 60 sur des routes … et là le moteur coupe et tu fais pfuiiiiit ! (il mime un vol plané).
Par Marc Godin & Laurence Rémila
Photos : Florian Thévenard