Juan Antonio Bayona : « Rien de mieux que du porno fait avec amour ! »

En Espagne, Juan Antonio Bayona est une fierté nationale qui enquille les records au box-office. A Hollywood, il s’est vu confié les rênes de Jurassic World 2 par Spielberg himself. Qui est le génie derrière  Quelques Minutes Après Minuit , en salles aujourd’hui ?

« Je raisonne systématiquement en termes d’émotion, jamais en termes de concept. » Juan Antonio Bayona, 41 ans, sait précisément ce qui le différencie des autres petits maîtres néo-spielbergiens qui envahissent chaque jour un peu plus nos écrans, grands comme petits d’ailleurs. Il tient à nous le faire savoir dès le début de notre entretien. L’émotion plus que le concept donc, soit un certain désir d’envisager le cinéma comme un vecteur entre lui et nous, plutôt que comme un réceptacle à idées et à imageries. L’anti-Chris Nolan, en somme.

C’était fixé depuis le début. En 2008, son Orphelinat semblait, au premier abord, une énième espagnolade tapissée de fantômes évanescents et d’enfants tristounes, pour mieux nous retourner dans ses deux dernières minutes en débouchant sur un pur mélodrame morbide. Le twist ici, c’était la nature-même du projet : vous pensiez avoir affaire à un exercice de style horrifique impeccablement exécuté – loupé, c’était une grand tragédie opératique filmée en direct des limbes. Si vous raisonniez en termes d’émotion plutôt que de concept, vous l’auriez compris dès le début d’ailleurs. Deux ans plus tard, The Impossible remodulait, lui, l’horizon du film catastrophe à grands coups de déflagrations physiques et de furie lacrymale. Du jamais-vu dans le genre depuis La Guerre des mondes d’un certain Steven S. C’en était tellement dévastateur, rageur et déchirant qu’il en a bien fallu quelques-uns pour en hurler à la « pornographie sentimentale ». Ça vous blesse ça, Juan Antonio ? « Je comprends que des gens disent ça, notamment parce que certains d’entre eux se sentent parfois vulnérables face aux émotions que je cherche à convoquer. Mais, hé, rien de mieux que du porno fait avec amour, après tout… »

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« LET IT GO »

De l’amour et de la vulnérabilité, alors. Ce sont peut-être là les deux mamelles qui nourrissent le plus ouvertement son petit dernier, Quelques minutes après minuit, adaptation d’un classique de la littérature pour mômes. Comme dans le précédent, il y est question d’un petit garçon entre deux âges et d’une maman mourante, et à chaque coin du film rôde cette idée déchirante du deuil qu’il faut se résoudre à accepter : « Ce motif est là depuis L’Orphelinat, sauf que mon héroïne y était dans le déni : elle s’inventait une fantasmagorie pour pouvoir supporter la mort de son fils. The Impossible comme Quelques minutes… sont focalisés sur des gens qui refusent, in fine, la pulsion de mort qui les habite. » La reconnexion à la vie se fait ici par la figure d’un monstre qui, chaque soir, « quelques minutes après minuit » donc, vient rendre visite au héros, Connor, pour lui raconter des petites fables ouvertement dialectiques de sa voix d’outre-tombe. Le monde est peut-être un peu plus complexe que le jeune garçon veut bien le croire, mais qui pour le lui faire comprendre, hein, si ce n’est son imaginaire ? 

C’est la sphère réflexive du film, sa petite mise en abyme, l’endroit où le cinéaste nous offre un conte qui nous invite lui-même à penser sur la manière dont les histoires façonnent notre sensibilité et échafaudent notre regard. Le moment où, peut-être, Juan Antonio Bayona va préférer le concept à l’émotion ? « Non, c’est ma façon à moi de vous mettre dans la peau du héros, de vous plonger immédiatement dans sa psyché. C’est aussi le moyen de vous faire ressentir que nous sommes tout simplement ce que nous apprenons », nous balance-t-il droit dans les yeux, mettant ainsi fin au débat immémorial entre inné et acquis tout en sirotant de l’eau gazeuse au cœur d’un salon d’un grand hôtel parisien.

Qu’aurons-nous alors appris des trois premiers films de Juan Antonio Bayona ? Bien des choses sur nous, des bidules très intimes qu’on n’osera jamais exposer ouvertement dans les pages de ce magazine. Ils nous auront cependant tous (TOUS) invités à tisser un lien émotionnel très particulier avec eux. Roi du box-office dans son pays natal, où ses films font les scores d’un Dany Boon ici, Bayona reste l’un des derniers cinéastes préoccupés essentiellement par l’idée du dialogue qu’il entretient avec son spectateur. Il suffit d’accepter l’idée de se laisser aller. « Let it go » comme le murmure le monstre à Connor dans la plus belle scène du film – celle des adieux et de la réconciliation. Ne pas envisager alors le fracas émotionnel que ce garçon-là nous met devant les yeux comme un chemin de croix mais bien comme un élan libérateur. Se laisser aller définitivement pour s’oublier dans un outre-monde telle la maman de L’Orphelinat, pour revenir à la vie telle celle de The Impossible, ou pour vouloir enfin y goûter tel Connor dans Quelques minutes… Se laisser aller parce que ce n’est pas un concept. C’est simplement une émotion.

Quelques Minutes Après Minuit de Juan Antonio Bayona

FRANCOIS GRELET