Arrivé en France à 18 ans, le chef Juan Arbelaez partage aujourd’hui son temps entre ses 11 restaurants, marathons et collaborations de prestige (il est ambassadeur Breitling). Rencontre chronométrée.
Légende photo : RENDEZ-VOUS AU BAZURTO_ Juan Arbelaez nous reçoit dans son adresse du 6e. À son poignée, une de ses montres Breitling.
Venu tout droit de Colombie en 2007, Juan Arbelaez fait ses classes chez Pierre « 13 Étoiles » Gagnaire , avant de passer par les cuisines du George V et du Bristol. On aperçoit ensuite ce grand passionné de gastronomie française dans « Top Chef » (2012), dans l’émission « Cuisine Impossible » (2020), puis en chroniqueur, le temps du confinement, à Quotidien… Côté cuisine, il ouvre son premier restaurant Plantxa en 2013, qui sera suivi par pas moins de 14 autres en région parisienne, Lille, Tignes, et bientôt Rennes. On retrouve Juan attablé au rez-de chaussé du plus animé d’entre eux : Bazurto (5 rue de l’Ancienne Comédie, dans le 6e), dédié à la gastronomie colombienne. Entre deux services, le chef pose ses casseroles pour répondre à nos questions.
Tout juste majeur, tu quittes la Colombie pour la France et intègres l’école de cuisine du Cordon Bleu. Que te reste-t-il de ton pays dans tes projets actuels ?
Juan Arbelaez : Tout ! Je suis arrivé à 18 ans, aujourd’hui j’en ai 36. J’ai vécu autant de temps en France qu’en Colombie. Ce pays m’a donné les couleurs, la joie de vivre, le bon côté des choses, le verre à moitié plein. Dans les moments durs ou les défaites je garde la mentalité que mon pays m’a donné. Mais la France, elle, m’a donné un métier, un toit et de quoi me nourrir. Je lui dois mon savoir faire. Les deux cohabitent dans mes projets aujourd’hui.
Tu dis souvent que le rapport des Français à la cuisine est presque religieux. T’es-tu converti à cette religion ?
Sans le savoir, j’en ai toujours fait partie. Là d’où je viens, les traditions sont sacrées, et la cuisine en fait partie. En France, c’est pareil avec la gastronomie. Il y a des gestes obligatoires, l’entrée, le plat, le dessert, le café, etc. Ma famille est très croyante, et moi, d’une certaine manière, je crois à ce que je goûte. La gastronomie française j’y ai cru parce que je la voyais et je la sentais.
Dans tes restaurants pourtant, tu as un peu dévié de toutes ces traditions et règles « à la française ».
J’ai bossé dans des étoilés et des gastronomiques… À un moment, j’en ai eu un peu marre de toutes les règles. Parfois, elles doivent être rompues pour ne pas se sentir dans un hôpital. Pour moi, un dîner c’est un moment de partage, pour s’amuser. J’ai voulu faire la même cuisine que dans les gastronomiques, mais avec une ambiance festive et vivante.
« DANS CE MÉTIER, ON RISQUE NOTRE RÉPUTATION DEUX FOIS PAR JOUR. »
« Vivant », avec toi, ça l’est même en cuisine. À l’instant, je t’ai vu conseiller au chef de remplacer un ingrédient par un autre, plus de saison. Tu es souvent en train d’improviser, de te renouveler ?
Oui c’est tout moi ça. Je pars de quelque chose de simple pour le rendre meilleur. Pour moi on n’est pas là pour être un marchand de plats, je veux partager un souvenir. S’il faut improviser pendant le service, on le fait – même si on ne fait pas la plus grosse marge de notre vie.
Tu cours des marathons, tu soutiens une équipe de trimaran, tu as ouvert 11 restaurants, en fait tu fais tout en grand… Où se trouve le prochain palier ?
Il n’y en a pas vraiment. Je crois qu’il n’y en a jamais eu. Je prend les choses comme un gamin heureux de vivre une nouvelle aventure. À 18 ans, je suis arrivée en France en disant à ma mère que je voulais ouvrir un restaurant avant mes 40 ans. C’était fait à mes 25, et aujourd’hui j’ai 11 lieux et des collaborations avec des marques partenaires dans le monde entier. C’est merveilleux, mais je ne me projette pas vraiment. J’ai toujours vécu avec des opportunités au jour le jour.
Trouves-tu encore le temps de cuisiner ?
On trouve toujours le temps. Quand on rentre de soirée à 4 heures du matin, mes potes râlent parce que je me mets aux fourneaux. Même dans ces moments-là, ça me paraît impensable de me contenter de pâtes. Ça prendra peut-être une heure de plus, mais on mangera bien.
Tu dis adorer la série The Bear…
Ce que j’aime dans cette série, ce n’est pas tant le chef mais plutôt la mise en scène. Ils ont réussi à créer un stress constant. On entend la sauce tomate qui bout et le chronomètre qui tique, j’en ai eu le souffle coupé plus d’une fois. Mais à vrai dire, j’adule plutôt les cuisiniers qui sont vivants, parce qu’ils endurent ce métier dans la vraie vie, ils ne le jouent pas.
C’est particulièrement rude d’être cuisinier ?
Dans notre métier, on risque notre réputation deux fois par jour. Pour s’assurer la réussite, on a ce lexique militaire tiré de l’ancien temps. On a un « coup de feu », on est une « brigade », il y a des « chefs ».
Votre rapport au temps est particulier ?
Notre temps est structuré très méthodiquement, que ce soit pour le service ou pour la cuisson. Cinq minutes d’attente c’est cinq minutes d’attente, et les œufs durs, c’est 8 minutes 40. Point à la ligne. Il faut apprendre à apprivoiser le temps. Breitling m’aide à garder l’œil dessus.
Quel est ton plus grand échec ?
J’en ai tellement. En France c’est assez tabou mais en Colombie ou même aux États-Unis, on a tendance à plus partager nos échecs, à en faire des leçons. J’ai ouvert tellement de restos qui n’ont pas pris, je suis arrivé à Top Chef à 22 ans, me disant que j’allais tout rafler, et j’ai fini 10e. C’est une belle rouste qui m’a remis la tête sur les épaules.
À la carte de Bazurto, on trouve des chicharrones (des croustillants de cochon frit), des empanadas… Quel est ton plat colombien préféré ?
La cazuela de mariscos. C’est une cassolette de fruits de mer à base de lait de coco. C’est mijoté avec plein de légumes, qui vient des caraïbes. Dès que j’arrive en Colombie, ma mère m’emmène dans un resto sur le front de mer, et on dévore deux cazuela chacun.
@juanarbelaezchef sur instagram
Par Adèle Thiéry
Photo Davide Carson