Textes tranchants, flow frappant et prods protéiformes, Juste Shani balance Diamant Noir, déjà considéré comme l’un des meilleurs disques de l’année. Interview qui brille.
Tu viens de sortir le smart et catchy Diamant Noir qui tourne en boucle chez nous. Comment t’es venu ce titre ?
Juste Shani : J’avais intitulé mon premier EP Nuits Blanches. Ensuite, je me suis creusée la tête sur la suite, jusqu’à ce que l’image du « diamant noir » arrive. J’ai aimé cette image de pierre précieuse dont peu savent qu’elle l’est, parce qu’elle n’est pas brillante ni transparente. Je trouvais que ça correspondait bien à mon projet musical. Et depuis, plein d’événements semblent confirmer qu’on est dans la « diamant noir era »…
Pour toi, un virage a eu lieu il y a deux ans : après être passée par deux petits labels, tu quittes ton taff dans une start-up et tu te lances en autoproduction…
Un des plus gros challenges, quand on passe aux commandes, c’est de financer le projet. Dans ces premiers labels, j’étais en contrat d’artiste, donc ils finançaient tout. Mais l’argent ne fait pas tout : il faut aussi avoir une vision, savoir développer une stratégie, une image…
En parlant d’image : il y a eu un changement radical de DA entre Nuit Blanche et Diamant Noir.
J’ai eu besoin de passer un cap, parce que je me suis rendue compte à quel point l’image était importante dans un projet musical. Pendant longtemps, je n’y mettais pas trop de réflexion. Mes premier clips, je les faisais à la débrouille… Pour Diamant Noir, ça a été un travail, une collaboration, avec la DA (Elisa Sino, ndlr), les photographes, les stylistes. J’ai investi sur l’image et ça fait partie du game. Et c’est vraiment quelque chose que je trouve important : savoir s’entourer, admettre qu’on ne sait pas tout faire.
Pour tes deux EP, tu es passée par des campagnes de crowdfunding.
Oui, c’est hyper-gratifiant de voir qu’en fait, les gens ont envie d’aider ton projet. Ça n’a pas couvert tous les frais, mais ça y a très largement contribué. Et ça a également permis de fédérer une certaine communauté autour du projet. Pour le reste, je m’organise grâce à d’autres prestations : des ateliers d’écriture auprès de collèges, etc.
Tu as commencé tes premiers freestyles avec tes potes de fac.
Certains des autres étudiants aimaient rapper. En cours, on se montrait ce qu’on avait écrit, et on manigançait le showcase qu’on allait imposer aux autres invités de la soirée. C’étaient mes premiers moments de partage avec d’autres passionnés. Depuis toute petite, j’avais cet élan artistique. Le dessin, le chant, j’étais beaucoup dans le mimétisme : je lisais beaucoup de BD, donc je dessinais. Je regardais le foot, donc je jouais. Pour la musique, pareil. J’ai d’ailleurs chanté, du R&B, avant de rapper. À l’époque, je m’inspirais beaucoup de Sexion d’Assaut, qui étaient novateurs, ou de rappeurs très littéraires ou techniques comme Youssoupha ou Orelsan.
Tu es l’auteure de « Bonne Fête », puissant tube féministe (« Ne me souhaitez pas bonne fête, Ou alors souhaitez-le aussi aux femmes qu’ont mordu l’sol ou qui ont morflé »). Depuis quand ces convictions se sont-elles réveillées en toi ?
Je pense que j’ai toujours été traversée par les questions de justice sociale sans forcément savoir qu’il y avait des mots pour ça. Mais au début de ma vingtaine, je me suis rendue compte que les phénomènes sexistes que j’avais cernés avaient été expliqués et théorisés à travers la pensée féministe. Je me suis dit que j’étais féministe depuis le début. Je partage cette réflexion avec pas mal de proches : ce sont souvent les réseaux sociaux qui nous ont introduits à ce courant.
Et petite, tu écoutais des rappeuses ?
J’aimais Keny Arkana et Diam’s. Mais j’écoutais surtout des Américaines : Missy Elliott, Jamelia… En France, on manquait un peu de figures.
C’est encore le cas aujourd’hui ?
Un peu, mais on est gâtés avec celles qu’on a. J’écoute Shay à fond, et Chilla, Le Juice, Davina, pour ne citer qu’elles. Et j’espère que mon disque en inspirera d’autres…
En concert au Point Ephémère (Paris 10e) le 16 avril
Par Adèle Thiéry
Photos Basile Bertrand
DA Hugo Jean
Stylisme Anaïs Dubois
MUA Morgane Gossuin