KARIM AÏNOUZ : « LA PLUS GRANDE CÉLÉBRATION DE LA VIE, C’EST LE SEXE »

MotelDestino

Au Brésil, dans un love hotel, trois personnages entament une danse de sexe et de mort. Un film noir, irrigué par le soleil, les néons et le désir. Rencontre avec son metteur en scène, Karim Aïnouz.

Motel Destino a été écrit par un de vos étudiants. 
Karim Aïnouz : Oui. En 2013, j’ai monté une école de scénario au Brésil, à Fortaleza, où je suis né. J’ai toujours eu envie de réaliser un film noir au soleil, et un de mes étudiants a écrit cette histoire en 2016. C’est un peu un film d’école car plusieurs étudiants ont rejoint l’équipe technique de Motel Destino. Et nous l’avons tourné en 28 jours. 

Le film est ouvertement sensuel, sexy, sexuel. Pourquoi ?
Le film a été fait après quatre années de régime Bolsonarao, et la mise à mort progressive de la culture. C’est un film qui parle de la vie, c’est une célébration de la vie. Et la plus grande célébration de la vie, c’est le sexe. Ici, c’est sex positive, c’est un film joyeux sur le sexe. Ces dernières années, l’espace du sexe a été réduit à internet, sur le portable. Mais au cinéma, la façon dont on filme les corps et leurs rencontres, cela peut être très fort. Je sais que les jeunes générations n’ont plus trop envie de voir du sexe à l’écran, pourtant, il n’y a rien de plus cinématographique. 

MotelDestino


Et le film noir se prête parfaitement à la sensualité, au sexe. 
Oui, et donc, je me suis dit, pourquoi pas ? Le film noir, c’est le cinéma du désir, de l’interdit, des fautes morales. Pour ce film, sur lequel je me suis senti très libre, je me suis beaucoup inspiré du film de Fassbinder, Tous les autres s’appellent Ali, une rencontre entre deux personnages placée sous le signe de la sexualité. Brian De Palma et ses Body Double ou Pulsions ont été également une vraie source d’inspiration, comme le cinéma coloré, érotique de Gregg Araki ou de Kenneth Anger. 

Une autre source d’inspiration de votre film, c’est la comédie pornographique brésilienne, des films de sexploitation des années 70.
Dans les années 60-70, il y a une vague de sexploitation aux États-Unis avec les films de Russ Meyer. Au Brésil, mais aussi en Argentine, ce cinéma de « branlette pour le déjeuner » a incroyablement bien marché. Les spectateurs y allaient le midi, avant de retourner bosser et ça a fait un carton. C’est devenu une industrie située à São Paulo, avec des films tournés en deux semaines. On a appelé cela le « porno chanchada », mais c’est un genre important, car nous sommes en plein pendant la dictature militaire et tout ce qui était politique était interdit. Et les cinéastes qui tournaient ces comédies pornos y distillaient des métaphores politiques. Je me suis beaucoup inspiré des couleurs, de l’humour de ces films. 

Le travail sur la couleur, sur les néons saturés, dans votre film est somptueux. Pourtant, il paraît que vous devenez aveugle. 
C’est vrai. J’ai un problème de cornée depuis l’âge de 18 ans et je vois très mal. J’ai des lentilles de contact très spéciales qui me permettent de compenser. Sinon, je vois le monde d’une façon un peu laiteuse, comme noyé dans du lait, tout est un peu blanc, flou. C’est pour cela que les couleurs de mon film sont aussi éclatantes. Je suis mû par un sorte de désespoir car je pense toujours que je vais perdre la vie (il se reprend, NDR), la vue ! 

Motel Destino est-il déjà sorti au Brésil ?
Oui, au mois d’août. C’est un film d’art et d’essai et il a vraiment marché avec 80 000 entrées. Peut-être grâce au sexe ou aux comédiens, notamment Fabio Assunção qui est une star chez nous. 

Motel Destino de Karim Aïnouz
Sortie en salles le 25 décembre


Par Marc Godin