À la tête de la direction artistique de Moët & Chandon depuis 2023, Khoa DoDinh perpétue et renouvelle la distinction et l’excellence qui font l’identité de la Maison française de champagnes depuis 280 ans. Interview.
Vous avez été directeur artistique pendant 13 ans chez Hennessy, puis vous êtes arrivé chez Moët & Chandon en 2023. Quel est le plus grand challenge pour renouveler l’image de ces marques tout en respectant leur histoire ?
Khoa Do Dinh : L’appréciation du temps long est une notion fondamentale. Ces univers d’excellence demandent des maturations et des savoir-faire lents. Le challenge est de m’immerger dans la culture, l’histoire et les archives d’une marque pour respecter son ADN, tout en cherchant à l’inscrire dans son temps contemporain et la projeter dans le futur avec un esprit visionnaire.
Un peu similaire à une maison de mode finalement.
En effet, j’hérite d’une histoire et de ses défis. En tant que créatif, je dois trouver et définir la singularité de la marque, traduire en image et en designs ce supplément d’âme propre à ces Maisons afin de les faire rayonner dans le monde entier. Au fil des collections, une collaboration pertinente avec des artistes peut enrichir et rythmer la marque, à l’image d’éditions limitées. J’ai pu ainsi collaborer avec des artistes d’exception chez Hennessy, comme Frank Gehry, Marc Newson, Yan Pei Ming, ou Kim Jones. J’aspire à renouveler l’image de Moët & Chandon par des collaborations artistiques avec des photographes, des réalisateurs ou des designers.
Une nouvelle cuvée voit le jour, « Collection Impériale Création No. 1 » en collaboration avec Daniel Arsham. Ce qui distingue cette collaboration des autres ?
C’est la toute première collaboration avec un artiste d’art contemporain. Elle rend hommage au fondateur de la Maison, Claude Moët, et ses 280 ans d’histoire. La création de cette collection que l’on appelle « Haute Oenologie », a commencé avec Benoît Gouez, chef de cave de la Maison. Il a puisé dans les vins de réserve exceptionnelle de la Maison sur 10 ans… Un premier jalon fort pour se projeter vers le 300e anniversaire en 2043. Ensuite, mon rôle en tant que directeur artistique a été d’interpréter cette création en volume, design et image. Je la « mets en musique » par une idée créative visuelle et développe sa déclinaison en packaging et campagne visuelle pour la rendre unique.Cela a ouvert le champ créatif et permis d’affirmer le territoire de la marque.
Pour quelles raisons avez-vous fait appel à Daniel Arsham pour les 280 ans de Moët & Chandon ?
Lorsque l’on veut développer une collaboration artistique, l’enjeu est d’identifier un artiste dont le langage et la maturité artistique fusionnent avec l’univers de la Maison. Avec Daniel Arsham, le dénominateur commun est évident. C’est le lien du passé traité avec un regard contemporain. Sa visite des domaines chez Moët, la convergence de l’art de la vinification, ainsi que son regard artistique sur l’architecture et la performance, ont donné naissance à une œuvre monumentale : une fresque sculpturale murale revisitant Moët au passé, présent, et futur. Coulée de résine blanche comme la craie des caves, Daniel s’est joué des codes sans contraintes. Il a également créé 85 écrins précieux pour les collectionneurs signés par lui-même. Cela a ouvert le champ créatif et permis d’affirmer le territoire de la marque.
C’est un vrai travail d’équipe, entre vous, Daniel Arsham et le chef de cave, Benoît Gouez. Comment arrivez-vous à vous coordonner ?
La rencontre est primordiale puisque nous sommes au cœur du dialogue créatif. La beauté d’une collaboration est de faire du langage unique d’un créateur une symbiose à trois. C’est le principe même d’une collaboration artistique : se nourrir les uns les autres de nos regards différents, tout en respectant nos univers créatifs pour écrire un récit moderne et cohérent avec la marque. Benoît Gouez a mis son savoir-faire exceptionnel au service de cette collection pensée et assemblée par ses soins. De mon côté, j’ai établi le dialogue entre Daniel Arsham et la Maison, jusqu’à ce que la rencontre se concrétise par une collaboration qui se doit d’être unique dans le patrimoine de la marque. Le regard de Daniel est libre.
D’où viennent vos influences ?
Mon histoire familiale immergée dans l’art, le multiculturalisme et mes études orientées business m’ont très jeune ouvert la voie de ma vocation : devenir un trait d’union entre l’art et l’histoire des marques. De mon 1er poste chez L’Oréal en tant que jeune directeur artistique du Trophée Lancôme, puis chez NY Agency, une agence experte beauté à New York, chez Hennessy et enfin Moët & Chandon, tout mon parcours assemble les artistes (de l’art contemporain à la pop culture, comme Beyoncé !) et les marques pour les valoriser par la création. J’ai une double culture : la connaissance de l’entreprise (stratégie, réalités industrielles, approche cohérente, réflexion) et la proximité des artistes, la compréhension de leur processus de création. Je mesure cette chance car elle favorise mon inspiration pour faire rayonner mondialement les marques dans leur expression sur tous les canaux, digital compris. Je suis sensible à diverses formes d’art que ce soit en peinture, dessin, photo, architecture… La notion de collaboration au sens large m’inspire. Nous co-créons. Pour ne citer que trois exemples marquants et différents, j’ai été particulièrement sensible à trois artistes avec qui j’ai collaboré. J’ai été séduit par leur univers créatif en parfaite adéquation avec l’expression des marques avec qui nous avions collaboré ensemble : le designer Tom Dixon pour son génie créatif et industriel, le photographe Jeff Burton pour son approche photographique picturale et organique et l’artiste peintre Yan Pei Ming pour sa puissance créative exceptionnelle et son gigantisme.
Comment décririez-vous la vision créative actuelle de la marque Moët & Chandon et comment pensez-vous qu’elle pourrait évoluer dans le futur ?
C’est une icône du luxe à la française reconnue et appréciée dans le monde entier. Elle est simplement chic et glamour, avec une touche de légèreté et de sophistication. J’essaie aussi d’ajouter de la spontanéité dans les films et les visuels pour traduire ce moment suspendu de dégustations. Mes dernières réalisations mettent en scène par exemple Roger Federer, Coco Rocha, et Lashana Lynch pour traduire ces moments de rencontres.
Par Sarah Sellami