KIF-KIF : L’ÈRE DU DUPE

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Poussés par les algos’ débridés, le marché du dupe fait rage. Sacs, chaussures ou cosmétiques, ils reprennent les principales caractéristiques d’items iconiques des grandes maisons sans jamais les nommer. Mais ces versions cheap sont-elles vraiment un danger ? Ne vendons pas la peau du luxe avant de l’avoir tué. 

Légende photo : PAS DUPE_ Considérant le succès des Wirkins et autres copies du luxe, on se dit que les grandes Maisons auraient bien tort de partir en croisade contre les dupes. (The Dior Cruise 2025 Campaign, photographiée par Brigitte Niedermair).

«Guys, I have found the best Bottega Dupe ». La voix précieuse de Frankie Gaff – Tiktokeuse anglaise aux 11,5 K followers – attire mon attention alors que je scrolle inlassablement sur mon feed. Tiens, quel sac ? Abréviations de Duplicate, ces imitations ont ceci de différent d’avec les contrefaçons qu’elles ne mentent pas. Un dupe ne prétendra jamais sortir d’une usine de luxe. Surfant sur la notoriété d’un produit, il en reprend simplement les principales caractéristiques, avant de se vendre pour des centaines d’euros en moins. Ce sont alors les créateurs de contenus à l’œil acéré qui vont partager ce bon plan avec leur communauté.

En décembre 2024, l’américaine Kristi Stephens (@styledbykristi) annonçait fièrement sur TikTok avoir trouvé l’équivalent du sacro-saint Birkin (Hermès), sur le site de Walmart (le Lidl nord-américain) pour une centaine de dollars. En comparaison, l’original d’Hermès est disponible uniquement en boutique, pour un prix qui peut aller jusqu’à 400 000 dollars. La trend du désormais surnommé « Wirkin » est lancée. Si Hermès n’a pas moufté, en janvier, Walmart a supprimé de son catalogue son sac. Bien que lucratif, le duping est un jeu qui peut s’avérer dangereux pour ses vendeurs. Le 16 octobre dernier, le chausseur Jonak était condamné à 180 000 euros d’amende pour parasitisme – leur modèles Dhapop et Dhapou avaient été jugés trop similaires aux célèbres Slingbacks de Chanel par la cour d’appel de Paris.

LUTTE DES SACS

Revenons à Frankie Gaff. Celle-ci annonce fièrement dans sa vidéo, « je ne suis pas une fille qui dépense des mille et des cents chaque mois ». Le dupe s’inscrit dans une logique de petite piraterie, chacun est fier de partager la faille du système sur lequel il a mis la main. En témoignent les féroces « Eat the Rich » sous les vidéos de dupe, ceux-ci sont pour certains une nouvelle arme de la lutte des classes. En France, deux personnes sur dix pensent qu’acheter du faux est un acte contestataire, qui permet de gommer la distinction qu’apportent les produits de luxe. Un raisonnement qui met de côté l’impact écologique et social de la fast-fashion qui produit ces dupes, intrinsèquement liés à la viralité, et donc l’éphémère. Pour Laurent François, responsable de la stratégie digitale de maisons comme Dior ou Omega, « acheter un faux sac sur Shein, en gros, c’est ajouter de la boue à la boue. Ça crée une distanciation encore plus forte entre les gens qui sont capables d’avoir le vrai et de le distinguer, et ceux qui feront une forme de publicité gratuite pour une maison à laquelle ils n’ont pas accès. »

En revanche, il souligne les aspects bénéfiques sur l’industrie. « Ça permet aussi de faire le tri entre des marques qui créent du vrai premium, et celles qui ont créé des écrins pour des produits moyens ». Avec l’augmentation des prix du luxe de plus de 50 % depuis le confinement (HSBC), il est devenu évident que les tarifs ne sont plus justifiable par l’unique qualité certifiée de leur produits. Côté cosmétique, Beauty Pie, spécialisée dans des dupes de Dr. Barbara ou Skinceuticals, souligne cette idée avec son slogan « Same factory, better price ».

LA REVANCHE DU LUXE

Quant au danger que représentent les dupes pour les grandes maisons, Laurent François est pondéré. « Si la marque contrôle la qualité et la distribution de ses créations, il y aura toujours une différence, une hiérarchie claire entre la copie et l’original ». La Gen Z biberonnée aux réseaux sociaux représente pourtant 30 % des acheteurs de luxe. Pour fidéliser cette clientèle habituée à la transparence et attachée à de nouvelles valeurs, les marques documentent de plus en plus leur processus de création. « Elles travaillent la valeur perçue des objets. Elles investissent pour revaloriser l’appareil industriel et les milliers de gestes requis pour faire un joli sac Vuitton, ou Saint Laurent ». Hermès, dont l’offre est toujours inférieure à la demande malgré une croissance des volumes annuels produits de 7 %, communique ainsi sur ses 60 sites de production français.

Surtout, le luxe s’attaque au terrain de jeu des dupes : internet. Les marques investissent massivement dans la transformation digitale et l’hyper personnalisation pour implanter l’élitisme et l’expérience d’achat qui les caractérise à travers l’e-commerce. En avril, Gucci sortait un documentaire sur son directeur artistique Sabato De Sarno avec l’Apple Vision Pro, et déjà en 2023, Prada avait fait appel à l’artiste digitale Ines Alpha comme virtual make up artiste pour sa ligne de maquillage inspirée du métavers. « Ces marques fournissent un storytelling très riche à des communautés restreintes. En 2023, on avait lancé avec Dior la première campagne via whatsapp, avec Kim Ji-Soo de Black Pink. Elle n’était basée que sur le bouche à oreille, c’est-à-dire que tout était organique. Évidemment, les communautés autour de Black Pink sont très soudées, et le lien secret vers le groupe whatsapp s’est peu à peu diffusé. Sauf que les joyeux membres qui avaient été les premiers à pouvoir rejoindre le groupe avaient accès à toute une série de contenus, qui menaient à différents types d’interactions avec elle. C’est cette interactivité qui fait la puissance du luxe d’hier et de demain. » J’hésite. Pour le prix de deux rouge à lèvres Dior Addict Shine promus par Jisoo, irais-je m’acheter le faux Bottega ?

 

Par Adèle Thiery