De la Peste Noire à l’avènement des vidéos virales, les épidémies sont une part obscure mais bien présente de notre histoire. Un mauvais souvenir qu’on refoule sous le tapis par peur de perdre le sacro-saint controle, un danger primal dont la tâche reste indélébile dans notre littérature.
Comme le disait Didier Super de toute manière “On va tous crever/ On va tous crever / La fin du monde nous attend/ Et nous on fait la fête tout le temps”. Un constat alarmiste qui est pourtant confirmé à chaque annulation de grand événement culturel en faveur de la psychose collective. Pas besoin du salon du Livre! A bas le Paris Manga Show! Plus de Salon du tatouage! “Tout ça c’est de la culture de gauchiste et de toute manière ça rapporte pas d’argent”. Les matchs de foots en revanche se portent bien, remplis jusqu’à la garde par des transports en communs blindés.
Alors que l’inexorable décadence de l’esprit humain est confirmée par la chute des ventes de Corona en Amérique, je me suis dit qu’il était peut-être temps de parler littérature. Après tout si on ne peut pas se gaver de petits fours dans des allées bondées remplies de profs de lettres pudibonds, si on ne peut pas jouer à cache-cache avec des auteurs indépendants qui cherchent à placer leur roman semi-autobiographique, nous lirons!
A domicile si possible, c’est toujours moins risqué.
J’espère que vous pardonnerez mon ton acerbe (et que je n’embrasse plus pendant l’amour), je viens de me relire “La Peste” de Camus. A l’instar de la série “The Walking Dead”, les zombies en moins, ce roman publié en 1947 rappelle que les épidémies et les guerres sont le grand catalyseur des comportements humain. Il met en parallèle la peste et la guerre, qui partagent toujours quelques saints et beaucoup de pillards. C’est loin d’être subtil mais comme le rappelle Camus dès l’épigraphe (emprunté au Robinson Crusoé de Daniel Defoe:) “Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d’emprisonnement par une autre que de représenter n’importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n’existe pas” . La Peste disparaît comme elle est venue: sans prévenir, ne laissant aux survivants que des cicatrices et le poids de leur mémoire, le tout bercé par le silence assourdissant de tous les voisins manquants.
ALORS QUE L’INEXORABLE DÉCADENCE DE L’ESPRIT HUMAIN EST CONFIRMÉE PAR LA CHUTE DES VENTES DE CORONA EN AMÉRIQUE, JE ME SUIS DIT QU’IL ÉTAIT PEUT-ÊTRE TEMPS DE PARLER LITTÉRATURE.
Les épidémies rythment le fil des civilisations comme le battement des vagues de l’inconscient collectif.
Dans les “Chroniques Martiennes” de Ray Bradbury publiées en 1950, les humains tentent de coloniser Mars au grand dam des populations locales. Ici ce n’est pas la Variole qui décime les Amérindiens, c’est la Varicelle qui provoque le génocide des Martiens. Dans les deux cas c’est la fièvre de la conquête qui provoque ce désastre. Pas le temps de prendre des précautions quand il y a autant de profit en jeu. Sa nouvelle “la Rencontre nocturne” s’achève sur la contemplation d’un Terrien et d’un Martien de la même cité à des siècles d’écart. Ruines pour le premier, ville prospère pour le second. C’est par sa légende que survit la mémoire de la bibliothèque d’Alexandrie. Comme si l’écriture était le dernier rempart contre l’annihilation.
Bien entendu il y aura toujours des prédicateurs pour vous annoncer qu’il s’agit d’une punition divine: c’est votre faute si vous tombez malade. Sodome, Gomorrhe, Méry-sur-Oise, même combat. Une logique de marchand d’huile de serpents (et de politicien) qui était déjà réfutée V siècles avant JC dans “l’Œdipe roi” de Sophocle. Ici la maladie n’est qu’un prétexte pour forcer le Roi incestueux à affronter son implacable destin et le meurtre de son père. C’est à cause de lui que meurt sa cité chérie. Que la Peste, qui est une métaphore de la violence, se répand dans les rues. C’est lui le péché originel.
Quand on vous disait que c’était mieux de rester chez soi à lire.
Par Calvin Dionnet
Article paru dans le Hors Série Littérature de Technikart disponible gratuitement ici :
https://www.cafeyn.co/fr/publication/technikart-salon-du-livre-/21580005