Leur métier consiste à passer leur vie entre les jambes des femmes. Mais comment avoir encore envie de sexe quand on en a vu toute la journée ? Technikart a demandé aux gynécologues ce qui se passait avant, pendant et après les consultations.
« Pour mon témoignage, tu pourrais mettre Patrick B. comme pseudo ? J’ai fait un pari avec un collègue… » Quand notre témoin nous fait cette étrange requête dans la pénombre d’un bar à bières, on pense naïvement au chanteur playboy de Casser la voix. « Pas du tout, c’est en référence à Patrick Bateman… », glisse ce gynécologue obstétricien trentenaire bien sous tous rapports. Le choix de ce pseudo peut surprendre mais il faut l’admettre : Patrick B. a beau accoucher des femmes toute la journée, quand il s’agit de parler à la presse, il se cache sous l’identité du violeur de putes et tortureur de clodos d’American Psycho. Pourtant, la vision d’une femme nue déclenche en lui bien moins de névroses que le héros de Bret Easton Ellis : ça ne lui fait ni chaud ni froid. Nous voilà bien avec nos questions en bandoulière sur cette profession pas tout à fait comme les autres et qui alimente la machine à fantasmes. Comment l’intimité des meufs devient-elle une vocation ? Où trouve-t-on la motivation pour remplir son devoir conjugal quand on a vu des nichons toute la journée ? Peut-on refréner une gaule inopinée en consultation ?
Face à nous, celui qui a aussi bien exercé dans une grosse maternité qu’en clinique de la région parisienne, nous a vite refroidie : « Il faut démystifier le boulot de gynéco. Notre quotidien, c’est très loin d’un scénar’ de Dorcel. On voit tous les jours des sexes de femmes, oui, mais des sexes pas toujours épilés, souvent infectés, qui saignent ou qui ont des pertes. Crois-moi, dans 99% des cas, on est à mille lieues d’un truc sexuel. »
Cependant, Patrick en convient avec un sourire entendu : la légende du gynéco bandant qui alimente les fantasmes de ses patientes, façon Richard Gere dans Docteur T et les femmes, n’est pas tout à fait un mythe : « Oui, il m’est arrivé que des patientes me rappellent le jour même, genre : “On s’est vus ce matin, vous aviez dit de rappeler si j’avais besoin de quoi que ce soit. Rien de médical mais j’aimerais bien vous revoir…” Deux par téléphone, une via Facebook. Il y a évidemment des femmes que la situation fait fantasmer mais nous, on se doit d’éviter tout jeu de drague, ça serait déplacé. Après, si elle n’est plus notre patiente et qu’elle fait le premier pas… » Dans ces moments-là, on score ou la conscience professionnelle reprend le dessus ? « Je suis sorti avec quelques-unes d’entre elles, mais elles ne sont pas restées mes patientes, on n’était pas dans du suivi routinier. De toute façon, c’est le contexte qui crée le côté tabou : quand j’étais interne en chirurgie, une nana est venue pour une entorse. On s’est revus, je l’ai pécho et là, ça n’a choqué personne. »
«Pardon, je vous ai fait mal ?»
Des anecdotes de gynéco hautes en couleur, on en connaît toutes – mère d’une copine à qui son docteur a essayé de rouler une pelle une fois rhabillée, amie qui va consulter pour soigner une IST crado et qui recroise le gynéco par hasard dans un dîner… – mais les gynécos ont, eux aussi, une liste longue comme le bras : patiente qui garde ses bottes « compliquées à remettre », mari mateur qui demande à récupérer le spéculum usagé de sa moitié, sans oublier la jeune femme qui pousse un petit cri pendant l’examen. « Pardon, je vous ai fait mal ? », demande naïvement Patrick B. « Non, au contraire », répond la patiente avec un sourire entendu. « Là, j’étais comme un con. Parce que tu fais ton max pour que ça se passe le mieux possible, mais tu n’es pas préparé à l’éventualité qu’elle kiffe carrément. »
Il faut dire qu’écarter les jambes, pieds dans les étriers, sous un néon blafard devant un inconnu parfois du sexe opposé, est l’une des choses les moins naturelles au monde. Pour Antoine, 42 ans, gynécologue obstétricien à Marseille, le vrai problème du gynéco réside surtout dans la drague plus ou moins camouflée de certaines patientes qui se font leur petit frisson avec le gentil docteur : « Là, les situations deviennent vite glissantes. A tel point que j’ai envisagé de mettre un bouton “urgence” sous mon bureau pour faire intervenir ma secrétaire en cas de débordement œstrogénique… En résumé, après une journée de consultation tu rentres chez toi fatigué mais sûr d’être le plus beau, le plus intelligent et le plus séduisant sur Terre. Du coup, tu te sens désirable et tu n’as pas besoin de te forcer pour faire l’amour à ta femme. »
Cinq épisiotomies, trois abcès vulvaires
C’est l’une des énigmes majeures qui entoure cette profession : comment ne pas avoir l’impression d’enchaîner les heures sup’ quand vient le moment d’honorer celle avec qui l’on vit ? « Il faut savoir qu’un étudiant en médecine est un carabin, un type qui ne pense qu’au cul toute la journée et décompresse pendant les gardes par le biais de blagues douteuses, recadre Antoine. Le corps humain est l’outil de travail du médecin et, très tôt dans les études, on se retrouve à palper des gens nus une bonne partie du temps. Quand vient la nuit, tu te dois d’honorer sages-femmes et infirmières du service et, parfois, de terminer la nuit dans la chambre de l’assistante de garde. Il y a une espèce de sélection naturelle : ceux qui ne supportent pas abandonnent les études, ceux qui ont la libido au plafond terminent gynécos. » Notre doc gynéco, entre alors dans des détails proches de l’atroce que nous déconseillons aux âmes les plus sensibles : « Eux seuls sont encore capables de trouver l’envie en rentrant le soir, après avoir suturé cinq épisiotomies, incisé trois abcès vulvaires et retiré le préservatif usagé perdu dans la dame aux urgences parce qu’elle sent mauvais du dedans depuis quelques jours malgré une demi-douzaine de douches… La femme, c’est un sacerdoce. Si tu ne peux pas le faire, tu termines dentiste. »
Dans cet océan où le glam se marie à l’érotisme, on imagine sans mal que l’érection surprise n’est plus vraiment un problème. Confirmation de Florian, jeune gynéco parisien et beau gosse aux faux airs de Patrick Dempsey : « Passé 14 ans, si tu as encore des réactions physiques incontrôlables et inappropriées, c’est qu’il y a un problème ! Et si tu as ce genre de soucis, tu ne passes pas le bizutage de deuxième année. En consultation, pas d’érection, c’est gravé sur le fronton de la porte de mon cabinet. » Alors, que reste-t-il de ce champ de ruines où les visions d’horreur se superposent les unes aux autres ? « Le déshabillage, avoue Patrick B. Là, tu redeviens un homme mais tu ne regardes pas : tu t’obliges à faire autre chose, même si tu fais semblant. En s’effeuillant la patiente redevient une femme, un objet de désir. C’est la seule fenêtre de tir possible. Mais je sais, c’est mal et j’ai prêté serment. »
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« Il se passe parfois des trucs de oufs »
Approche médicale, distance professionnelle, serment de ne pas y toucher… Derrière ces grands principes, il y a pourtant un point sur lequel nos trois docs gynécos avouent la sortie de route : la tension sexuelle étant inexistante pendant les consultations (du moins du côté du médecin), leur libido explose, telle une bombe à retardement, sur l’ensemble du personnel médical. Ce qui donne des salles de garde parfois transformées en lupanars et un turn-over sexuel entre collègues beaucoup plus dynamique que dans d’autres disciplines médicales : « En tant que mec, tu tombes dans un milieu blindé de sages-femmes, d’infirmières, aides-soignantes, soit 85% de collègues de sexe féminin, radiographie Patrick B. C’est alors quelque chose de très récurrent et naturel que de coucher avec tes collègues, beaucoup plus que chez les neurologues, par exemple, mais tout autant que chez les réanimateurs. C’est la tension, les gardes de vingt-quatre heures, la proximité qui créent ça. Il se passe parfois des trucs de fous dans les moments d’émotion, quand tu participes à une naissance, par exemple. On m’a raconté l’histoire d’un mari accompagnant sa femme pour l’accouchement : il a dragué la sage-femme, se l’est tapée pendant les dix heures de travail de son épouse, et s’est barré avec elle six mois après… » VDM, comme disent les djeuns. Plus chauds lapins que les autres hommes, les gynécos, une fois sortis de leur cabinet ? Ou « trop de paires de fesses, trop d’herpès » ont-ils raison de leur appétit sexuel, comme l’évoquait Bruno Beausir, le « gynéco » le plus célèbre de l’Hexagone qui rendit ses lettres de noblesse à la profession dans son album Première Consultation (voir encadré) ? Patrick B. avoue fréquenter sex-shops et clubs libertins sans aucun complexe. Les gynécologues qu’on a pu interroger le confirment : leurs confrères sont des gens pour la plupart très actifs sexuellement. Et c’est la gent féminine qui leur dit merci : « L’un de mes meilleurs coups, c’était un gynéco, confie ainsi Eva, belle blonde de 28 ans chargée de l’accueil des patients dans un grand hôpital parisien. Le mec était calé et précis, il connaissait le corps féminin par cœur, mais ça restait sensuel… »
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Piège à filles ?
Incollables sur les mystères de l’anatomie féminine, les gynécos auraient donc l’ascendant sur leurs homologues banquiers ou fleuristes dans la chambre à coucher, comme un garagiste ferait régner haut la main et sans forcer sa science sur une bande d’arrêt d’urgence. « Ouais, je sais exactement où se trouve le point le plus sensible du clitoris et le sexe féminin n’a aucun secret pour moi, confirme Patrick B. Je suis sans doute plus adroit avec mes doigts que la moyenne des mecs. Et mon seuil d’excitabilité a été sensiblement augmenté : la vue d’une fesse ou d’un nichon ne me fait plus bander, je suis plus excité par des attitudes que par une plastique pure et dure. Après, examiner une nana avec toucher vaginal et doigter ta fiancée, ce sont deux choses qui n’ont rien à voir.
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Des nanas m’ont déjà demandé : “Tu m’examines, là ?” pendant l’acte sexuel. Ça les travaille beaucoup plus que nous. » Mais la sacro-sainte fonction, à mi-chemin entre le « sacré » (accouchement) et l’intime, est loin d’être un piège à filles qui fonctionne à tous les coups, comme l’explique Antoine : « Le vrai problème des gynécologues, c’est que c’est un métier parfois lourd à porter. Quand tu es jeune, tu ne te risques jamais à dire en soirée ce que tu fais dans la vie. On a tous fait l’erreur au moins une fois, et c’est toujours une cata : les mecs te mitraillent de questions grivoises et les filles te regardent bizarrement, jusqu’à en devenir maladroites. Forcément, tu sais tout d’elles, même que celle à qui tu parles a deux condylomes vulvaires qui viennent de pousser – tu les vois à travers ses fringues. Tu es gynéco, tu es super fort et tu dois sûrement connaître des tas de trucs sexuels. Elle ne se sent pas à la hauteur, tu rentres chez toi seul, la soirée est morte mais tu passes quand même par l’hôpital car on ne sait jamais : Marion, l’élève sage-femme est peut être encore de garde… »
Melanie Mendelewitsch