Connu, reconnu et re-reconnu grâce à des rôles marquants sur les planches comme à l’écran, Laurent Lafitte, 47 ans, donne enfin naissance à son premier film : L’Origine du monde. Une comédie grinçante et décalée dans laquelle on le voit se dévêtir tranquillement sous les yeux ébahis de sa mère. Interview à nu.
Laurent Lafitte est très doué en gymnastique : certains le connaissent en tant que pensionnaire de la Comédie Française, crème de la crème du théâtre classique, d’autres pour ses rôles dans les films de Guillaume Canet ou de Martin Bourboulon (les Papa ou Maman). Il est d’ailleurs le seul acteur français à réussir de pareils grands écarts. Et probablement aussi le seul chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres à faire autant de blagues potaches : difficile de ne pas être conquis. S’apprêtant à tourner un film sur Molière signé Olivier Py, nous le voyons alors qu’il prépare la promo de sa première réal’, la comédie ovniesque L’Origine du monde, en salle à la rentrée.
Laurent Lafitte vient à la rédaction un jeudi matin et se fait très rapidement déshabiller. Présentation rapides, deux-trois mots sur les photos à prendre, make-up, café, et il part se cacher derrière un paravent improvisé une heure plus tôt. Durant le shooting, (« On n’est pas bien là ? », s’esclaffe-t-il), les accessoires absurdes défilent : cigare, peignoir, string pour homme couleur chair… Et surtout, pièce maîtresse et éponyme de son film : le tableau L’Origine du monde, faisant écho à sa sortie prochaine, le 15 septembre. Son premier long – imaginez Buñuel laché sur une pièce de boulevard – provoque (un peu) tout en faisant rire (jaune, beaucoup). Un peu comme son auteur aujourd’hui…
Ton coup de foudre pour le métier d’acteur se fait tôt : tu décroches du collège pour t’y consacrer. Tes parents, qui étaient dans l’immobilier, n’étaient pas catastrophés par ce choix ?
Laurent Lafitte : Non. J’ai décroché parce que j’ai tourné mon premier téléfilm (L’Enfant et le Président, de Régis Milcent 1987, ndlr) qui a été une révélation et qui a fait se développer chez moi une sorte de phobie scolaire. Mes parents n’ont même pas essayé de me dissuader.
Tu suis la classe libre des cours Florent puis tu réussis le concours du Conservatoire. Lequel t’a le plus appris ?
Au cours Florent, on travaillait mais il y avait un aspect un peu plus léger. Quant au Conservatoire, on s’attaquait au répertoire classique, c’était un enseignement plus institutionnel. J’y ai bossé Grumberg, Racine, Lagarce… L’enseignement y était également focalisé sur le rôle de l’acteur dans la société, l’acteur citoyen. Ça m’intéressait beaucoup mais au fond je sentais que ce n’était pas pleinement mon ADN.
Tu as suivi aussi des cours de comédie musicale à la Guildford School of Acting en 1999…
Oui, j’y ai suivi des cours intensifs – quasiment le double de ce qu’on avait au Conservatoire. Les Anglais ont un rapport à ce métier assez pragmatique, ils sont moins dans la psychologie. D’avantage dans l’efficacité et le savoir-faire. C’est bien de pouvoir mélanger ces deux approches. Mais personne ne peut vous apprendre à devenir acteur.
Le côté un peu british et pince-sans-rire de ton premier one man show (2008) vient de ces années-là ?
Pas vraiment : mon humour a toujours été un peu anglais. J’ai toujours eu l’impression d’avoir un cœur français et un cerveau anglais. J’adore Little Britain, Sacha Baron Cohen, Ricky Gervais… Au moment de l’écriture de mon one man, ces inspirations étaient déjà bien présentes. En France, j’aimais beaucoup Sylvie Joly, Zouc.
On pense justement à Ricky Gervais lorsque tu lances des scuds aux cérémonies que tu présentes (la blague sur Woody Allen et Polanski, à Cannes, en 2016)…
La vraie blague cette année-là c’était tous ceux qui s’étaient insurgés contre ma vanne et qui un an plus tard, dans la foulée de #Metoo, le lâchaient complètement. Moi, je ne m’attaque jamais à personne : ce sont juste des blagues. Je ne cherche jamais à blesser, je suis toujours gêné lorsque des gens se sentent heurtés. Je tente de faire des blagues sans être à charge. Juste pour le plaisir de la vanne. J’aime beaucoup ça dans la culture camp anglo-saxonne. Avec mes ami(e)s on communique beaucoup par vannes. Sans méchanceté, comme un exercice de style.
Et tu n’essayes pas de rendre tes blagues (dans tes films ou ton one man show) politiques ?
Je cherche avant tout une acuité sociale et psychologique, mais comme tout est politique, tout peut être interprété de manière politique. Il y a eu le tout-fric, le tout-psychanalytique, et en ce moment on est dans le tout-politique. L’interprétation d’une œuvre ou d’une pensée ne peut pas se prévaloir de la pensée elle-même. Mais comme tout est très interprété en fonction de ce que chacun veut défendre, on a toujours tort. Tout ça peut devenir très moralisant au bout d’un moment. C’est comme si la morale était passée dans le camp des progressistes. On en viendrait presque à douter de soi-même. Il faut qu’on arrête, sinon il n’y a plus d’audace, plus de prise de risque… Pour les artistes, c’est mortifère.
« AH NON, J’ARRÊTE DE PRÉSENTER DES CÉRÉMONIES MAINTENANT ! »
On te propose encore de présenter des cérémonies ?
Oui mais j’ arrête maintenant ! Je pense que c’est fini. Non, franchement j’en ai marre… Trop de coups à prendre pour pas grand-chose et ça détourne l’attention de mon vrai travail. Là j’ai participé aux Césars parce qu’il y avait Blanche Gardin et Marina Foïs, mais je l’ai trop fait. J’ai présenté les Molières, Cannes, j’ai remis au moins cinq Césars… J’aimerais laisser les gens me remettre des prix, maintenant ! (Rires.)
On ne se dit pas qu’il est temps d’avoir un prix, parfois, dans le métier ?
Non. On peut avoir parfois une petite pensée un peu pupute qui dit quand on lit un scénar’ : « Tiens, c’est un rôle à César ça ! ». Mais ça dure deux secondes et ce n’est certainement pas pour ça qu’on va l’accepter. C’est vraiment de la pensée parasite qui n’a aucun intérêt.
Dans Elle de Paul Verhoeven (2016), tu tiens un rôle assez tragique, très loin de ce qu’on a l’habitude de voir de toi. Tu te sens le plus à l’aise dans quel registre ?
C’est bien plus difficile d’être drôle. Cela demande plus de contrôle et de précision. Alors que la brutalité, le drame, la tragédie sont un peu plus universels. On peut plus facilement être ému par les mêmes choses, tandis que l’humour fait moins l’unanimité, relève même de quelque chose de plus intime. Il y a des blagues qui vont faire hurler de rire des gens et en affliger d’autres, tandis que si vous noyez un chaton vous faites l’unanimité devant l’agonie de cet animal. Celui que ça fait rire est un psychopathe.
Lorsque tu as rejoint la Comédie française en 2012, tu disais que le théâtre serait ta priorité. C’est toujours le cas ?
Oui. Après, ce sont des priorités d’emploi du temps : au théâtre on sait longtemps à l’avance ce qu’on va faire tandis qu’au cinéma ça bouge tout le temps selon les aléas des financements. Au bout d’un moment, si je dis oui à la Comédie française et qu’un tournage se décale je ne peux plus faire le film. Je ne planterai pas le spectacle car je me suis engagé. La priorité se fait donc dans l’organisation de l’emploi du temps, ce n’est pas forcément une priorité artistique. J’aime tout autant le théâtre que le cinéma.
Comment as-tu découvert la pièce L’origine du monde de Sébastien Thiéry, un grand succès au Théâtre du Rond Point dès ses débuts en 2013 ?
Je suis allé la voir et le sujet s’est comme imposé à moi. J’ai réfléchi à comment je pourrais m’approprier la pièce : j’ai retiré certaines choses, j’en ai gardé beaucoup aussi…
Quand tu t’accapares d’une pièce existante, quelle est ton approche ?
Je ne me sens pas obligé de respecter l’œuvre. Je me suis intéressé à cette pièce pour son pitch, pour tout ce que ça dégageait d’intime, de psychanalytique… Mais j’ai gardé les situations les plus fortes et il y a au moins 70 % de la pièce dans le film. Et j’ai allégé les dialogues, déthéatralisé certaines scènes, rajouté des séquences, intégré des extérieurs…
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Entretien Laurence Rémila et Léontine Behaeghel
Photos Anaël Boulay