Accusé d’un double meurtre, un braqueur-loser, militant d’extrême gauche, risque la peine de mort. Cédric Kahn réinvente le film de procès pour un huis clos stratosphérique.
Cette année à Cannes, il y avait deux films de procès, avec Arthur Harari, nouveau wonderboy du ciné français, en dénominateur commun. L’un a décroché la Palme d’or, les honneurs et une polémique dégueulasse ; l’autre, l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs. Pourtant, le grand film de cette rentrée morose n’est peut-être pas le très surestimé Autopsie d’une chute, mais plutôt Le Procès Goldman, de Cédric Kahn, immense film politique qui retrace le parcours d’un héros improbable de l’extrême gauche révolutionnaire, Pierre Goldman.
En novembre 1975 débute le deuxième procès de Pierre Goldman, à la fois intello et zonard, juif laïc, demi-frère de Jean-Jacques Goldman, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée entre 1969 et 1970, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. L’inculpé plaide coupable pour les trois vols d’argent, mais nie le double assassinat, pour lequel il a un alibi. Il rédige un livre en prison (Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France), devient l’icône des intellos de gauche (Simone Signoret et Régis Debray assistent au procès) et le jeune Georges Kiejman assure sa défense. Provocateur, Goldman est incapable de se défendre sans s’enfoncer, refuse de faire intervenir les témoins en sa faveur, affronte parfois son avocat et semble oublier qu’il encourt la peine capitale.
UN ASTRE NOIR
Dans son scénario, Cédric Kahn dépeint une énigme, un astre noir. Un révolutionnaire parano, gangster éperdu d’héroïsme qui n’aurait rien tant aimé qu’être un héros résistant juif, comme son père, pendant la Seconde Guerre mondiale. Et qui déclare : « Je suis innocent parce que je suis innocent. » Mais jamais on ne saura s’il est coupable ou vraiment innocent et le spectateur se retrouve propulsé à la place – délicate – du juré, dans les ténèbres, et ce pendant deux heures.
Pour mettre en scène des kilotonnes de dialogues, une multitude d’intervenants et faire revivre ce procès oublié, Kahn mise sur une sobriété janséniste. Du format du cadre aux mouvements de caméra, tout est millimétré, épuré. Et beau comme un haïku, notamment grâce au montage virtuose du grand Yann Dedet qui file avec une intensité nucléaire. Pas d’effets de manche, pas d’esbroufe, Kahn filme avec son âme et resserre sur le regard fiévreux de Goldman, brillamment incarné par Arieh Worthalter, comme possédé, et sur Arthur Harari, lumineux dans la robe noire de maître Kiejman. On ne quitte jamais le prétoire exigu mais c’est la France réac des années 1970 qui prend vie, tandis que Kahn expose la relativité de la justice, de la vérité. « Ce procès était un microcosme précis de la société française de l’époque, une époque où la justice était blanche et masculine, et d’une certaine manière rien n’a vraiment changé », a déclaré Kahn. Car malgré son look vintage, Le Procès Goldman parle bel et bien de la France de 2023, des violences policières, de l’antisémitisme, de l’horreur économique, de la société du spectacle, du racisme systémique, du chaos qui vient. Comme si rien n’avait changé…
LE PROCÈS GOLDMAN
CÉDRIC KAHN
SORTIE EN SALLES LE 27 SEPTEMBRE
Par Marc Godin