Deux flics et une femme aux prises avec un serial killer. Barbare et beau, du cinéma anxiogène envisagé comme une hallucination. Doublement primé au festival Reims Polar.
Une hallucination, un mirage. Dès le départ, le réalisateur chinois Soi Cheang (Dog Bite Dog) plonge dans un Hong Kong apocalyptique, mix pluvieux entre une décharge géante et le 7e cercle des Enfers, une cité en apesanteur, engloutie dans les limbes. Pendant deux heures, le pauvre spectateur va patauger dans ce cloaque cauchemardesque avec des personnages hantés par la vengeance et la mort, et un serial killer qui, à ses heures perdues, découpe les mains de ses victimes, avec des objets divers, rouillés et émoussés de préférence. À ses trousses, une nouvelle recrue de la police, inexpérimentée mais tenace, un flic vétéran en imper’ avec un flair de chien de chasse, cogneur qui explose tout ce qui bouge, et une jeune femme résiliente, véritable punching-ball humain. S’ensuit une descente aux enfers ou un chemin de croix, pour tous les protagonistes qui plongent dans un univers de douleur et luttent pour survivre quelques secondes de plus…
ATOMISER LA RÉTINE DU SPECTATEUR
Malgré un scénario parfois prévisible, Limbo fonctionne à 2000 % car c’est un pur objet de mise en scène. Entre deux chocs, on tente en vain de reprendre son souffle, abasourdi, et Limbo provoque les mêmes sensations que des œuvres séminales comme Se7en, J’ai rencontré le diable, ou certaines toiles de Jérôme Bosch. Comme chez David Fincher ou Kim Jee-woon, c’est la surpuissance de la réalisation qui sidère, asphyxie. Le but de Soi Cheang est d’éprouver physiquement son spectateur, de lui faire perdre ses repères, d’atomiser sa rétine, de pilonner ses neurones. Et il y parvient avec la seule force tellurique de ses travellings, de ses plans vus du ciel, grâce à son génie du cadrage, sa façon de saturer l’image et l’arrière-plan ou de jouer avec l’architecture. Parfois Soi Cheang semble aller trop loin dans la noirceur ou l’extrême violence (notamment avec une scène de viol problématique), mais il retombe toujours sur ses pieds grâce à ses protagonistes, notamment le personnage féminin, une junkie qui survit aux pires outrages, damnée sur le chemin de la rédemption.
C’est absolument renversant d’autant plus que le film, lui aussi, revient des enfers. Terminé il y a plus que quatre ans, Limbo a été bloqué par la censure chinoise. Si le film a été tourné en couleurs, Soi Cheang l’a converti en noir et blanc pour tenter d’en atténuer la violence devant une censure qui est restée inflexible. Après une présentation lors d’un festival de Berlin on line, le film – véritable suicide commercial – n’est quasiment sorti nulle part dans le monde, avant son triomphe au festival Reims Polar (Grand prix et prix de la critique). Un double prix qui a convaincu son distributeur de le sortir en salles. Aucun film de cet été (et probablement de l’année) ne vous procurera simultanément ce malaise anxiogène de par son sujet et cette épiphanie euphorisante grâce à ses artifices. Vous savez ce qu’il vous reste à faire…
LIMBO
SOI CHEANG
SORTIE EN SALLES LE 12 JUILLET
Par Marc Godin