En Roumanie, un professeur de judo découvre ses penchants pédophiles. Une nouvelle fois, Ulrich Seidl met à nu les âmes dans un film transgressif et insoutenable.
« Ce qui m’intéresse, ce sont les abysses, le gouffre… » Depuis des années, l’Autrichien Ulrich Seidl, 70 ans, creuse un seul et même sillon : le sien. Ancien documentariste, il plonge dans les tréfonds de l’âme humaine et donne à voir tout ce que les autres cachent ou rangent sous le tapis. Dans Animal Love (1995), Dog Days (2001), Import Export (2006), la trilogie des Paradis (2012-2013) ou Sous-sols (2015), il dépeint une humanité à la ramasse, peuplée de paumés, de bigots, de déviants, de racistes, de mamies en tourisme sexuel en Afrique, de nostalgiques du Troisième Reich… De fait, Seidl nous tend un miroir. Et ce qu’il y a dedans n’est pas forcément beau à voir. Avec lui, pas de moralisation convenue ou de dénonciation d’évidences, pas d’émotion superficielle ou de compassion à deux balles. Il déshabille les corps, et met à nu les âmes. Sans tabou. Mais il filme toujours ses personnages avec une profonde empathie, et il leur restitue leur humanité. Dans leur désir de vie ou de survie, d’amour ou de tendresse, ses personnages sont simplement nos semblables.
Vomi par une partie de la presse (« immoral, cynique, nauséabond, sadique, inutile »), Seidl – qui déclare avec humour « je ne suis pas un photographe de mariage » – filme l’utra-moderne solitude et capture 24 fois par seconde cet absolu sentiment de vide, un peu à la manière de Michel Houellebecq (« Tout peut arriver dans la vie et surtout rien »). Le tout dans une forme ahurissante. Ancien photographe, Seidl cadre comme personne, joue sur la symétrie des plans, avec une mise en scène géométrique, millimétrée, constituée de longs plans-séquences, d’ellipses abruptes, sans aucune musique.
PROVOQUER LE MALAISE
Deuxième partie du diptyque commencé avec Rimini, Sparta s’attaque à la pédophilie. Installé en Roumanie, Ewald, la quarantaine chauve et dépressive, n’éprouve plus aucun désir pour sa compagne. À la recherche d’un nouveau départ, il sillonne l’arrière-pays, prend conscience de son attraction pour les enfants, joue avec eux, construit un fort et monte un simili-club de judo, suscitant la méfiance des parents. Comme Gaspar Noé, Michel Franco ou Michael Haneke, Ulrich Seidl propose une expérience physique et provoque un malaise qui se prolonge bien après la séance. Seidl s’abstient de montrer des scènes graphiquement choquantes, Ewald ne touchant jamais les enfants, mais interroge constamment le regard du spectateur, notamment lors de la scène (limite) de la douche entre le « héros » nu et un gamin. Seidl n’explique rien, ne propose aucune justification, et donne à voir une enfance en danger, maltraitée, abandonnée par les adultes, laissée dans les griffes des prédateurs.
Depuis, on a appris que Sparta a fait la une des journaux allemands, car sur le tournage, des familles n’auraient pas été informées du véritable sujet du film, ce que Seidl dément absolument… Reste un film insoutenable sur un sujet tabou (selon un sondage Ifop, entre 5 % et 10 % des Français ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance, qui se déroulent, dans 80 % des cas, au sein de la sphère familiale). Et s’il s’agissait d’un cri d’alarme ?
SPARTA
ULRICH SEIDL
SORTIE EN SALLES LE 31 MAI
Par Marc Godin