LE FILM DU MOIS : THE KILLER

film du mois : the killer david Fincher

David Fincher vient récupérer sa couronne de maître du polar mais se dérobe constamment. Il goupille un film étrange, atmosphérique, un thriller mental où les mots font plus de ravage que les balles.

C’est un visionnaire, un architecte du rêve, un incroyable inventeur de formes qui a réalisé quelques unes des plus belles hypnoses du 7e art : Fight Club, Zodiac, Se7en, MilleniumMais depuis une dizaine d’années, David Fincher est devenu l’employé du mois de Netflix, usinant la série Mindhunter ou le biopic raté Mank. Toujours pour Netflix, il adapte aujourd’hui une BD française, Le Tueur, l’histoire d’un tueur à gages méthodique qui foire un contrat et se voit poursuivi par une horde d’ennemis. « Une BD avec un tueur et des meurtres glauques, on a pensé que c’était pour moi… », assure Fincher en se gondolant. Sauf que Fincher transforme ce matériau de série B en quelque chose de beaucoup plus ambitieux, un thriller mental qui plonge dans la tête d’un sociopathe déguisé en touriste allemand, qui répète ad nauseam son mantra (« Stick to your plan – Trust no one »).

Scénariste de Se7en, Andrew Kevin Walker se concentre sur le flux de conscience du tueur, exposant toutes ses pensées, avec une voix-off proche du vertige. Mais est-ce que le tueur tente de se persuader ou se ment-il à lui-même ? Et pourquoi ne fait-il que contrevenir à ses propres règles ? Dès lors, Fincher flingue son film. Il dilate le temps, multiplie les plages d’attente, joue sur la frustration du spectateur. Durant les vingt premières minutes à Paris, il montre Michael Fassbender attendre pendant des jours sa cible, faire du yoga, monter et démonter son flingue, et sature la bande-son de chansons des Smiths, avec la voix-off robotique de Michael Fassbender. Pas sûr que le fan d’action made in Netflix apprécie outre mesure…

CHAOS ET K.O.

Pour donner un cadre au chaos, Fincher découpe son film en six chapitres et change de continent comme le tueur change de passeport. On est en France, puis en République dominicaine, en Floride, dans la jungle, à La Nouvelle-Orléans… La réalité se distord, comme pour le héros de Fight Club, le monde rétrécit. Le tueur remonte la chaine alimentaire, mais au lieu de flinguer à tout va ses adversaires, les scènes spectaculaires se métamorphosent en duels verbaux où l’on devise à l’infini sur l’argent, le capitalisme, et l’on raconte même la vieille blague du chasseur et de l’ours sodomite. Fincher injecte une dose d’humour bien noir (« If you’re not able to endure boredom, this work is not for you »), et sa mise en scène atteint une puissance thermonucléaire, qui culmine avec une séquence de baston titanesque dans la nuit de Floride, avec un sound design apocalyptique.

Si David Fincher assure que son inspiration vient de Don Siegel, il semble évident que The Killer est son film le plus kubrickien, aux accents de Full Metal Jacket. Ses personnages n’ont pas de passé, pas de futur, aucune psychologie, Fincher refuse les séquences obligées, joue avec l’enfer géométrique du décor, se penche sur la dualité de l’homme (« the jungian thing », comme disait Matthew Modine) et offre la dernière scène à Arliss Howard, l’interprète de Cowboy dans FMJ. À défaut d’être un monolithe, The Killer est un pur joyau dans la filmo de Fincher, un diamant noir, sublimé par la performance de Fassbender.

THE KILLER
DAVID FINCHER
SUR NETFLIX, À PARTIR DU 10 NOVEMBRE


Par Marc godin