On nous annonce une méga crise (économique, sociale et politique) ? Le collectif Catastrophe répond avec GONG !, une flamboyante comédie musicale. Pour rester vivant jusqu’à l’Apocalypse.
A priori, il y a de quoi être dubitatif : écrire une comédie musicale dans un pays où le mot est une insulte depuis plus de vingt ans et l’épouvantable Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon et Richard Cocciante ? Encore plus farfelu, voire carrément suicidaire : proposer au public de renouer avec les salles de concert alors que l’épidémie semble repartir et qu’elles ne rouvrent qu’avec une jauge réduite ? Cela semble mission impossible, raison de plus de s’y atteler : depuis leurs débuts il y a quelques années, les six drôles d’oiseaux de Catastrophe n’ont pas pour habitude de suivre le sens du vent. A rebours du second degré à la Julien Doré, ils font preuve d’une sincérité devenue rare. Contre le nihilisme ambiant, ils cherchent un sens, l’espérance, des issues artistiques. Il y a un an, alors que nous interviewions Blandine Rinkel, la seule femme du collectif, au sujet de son roman Le Nom secret des choses, elle nous avait dit deux mots sur cet autre projet alors en chantier : « Le thème, ce sera le temps qui passe, et comment arrêter tout ça – la catastrophe écologique, nos vies qui vont vers la mort, etc. On voudrait faire se parler des milieux qui ne se croisent pas d’habitude : la musique pop et le spectacle vivant, la chorégraphie, la danse. Ce projet nous excite beaucoup. Après, on n’a pas encore trouvé le bon mot pour définir le spectacle sans faire fuir les gens. Opéra pop ? Musical ? Comédie musicale, ça a une image kitsch et grosse machine, alors que nous ce sera pauvre. Enfin, pas pauvre au sens mélodique ! Pauvre au sens où ce sera du bricolage, ce qui ne me dérange pas, même quand ça se voit. Quand il y a trop de moyens, bon… »
Le résultat, GONG !, n’est pas calibré pour le Palais des Congrès, et c’est tant mieux. Suivant son « envie soudaine de monter sur la table et de chanter au lieu de parler, de danser au lieu de marcher » et « cette soif d’absurde dans un monde trop prévisible » Catastrophe ajoute un ovni de plus à une carrière déjà riche en inventions inclassables. Si les six amis dadaïstes rêvaient « d’un mariage entre Kendrick Lamar et Jacques Demy, Orelsan et Gilberto Gil, Brigitte Fontaine et Arcade Fire », on pense aussi la fantaisie de Sparks, au Justice de « D.A.N.C.E » (« Danse des morts Part 2 »), à des poètes dont on ne retrouve pas le nom (et qui n’ont sans doute jamais existé). Il y a des chœurs et des interludes, de la fragilité, des accidents. On n’a pas vu ce que ça donne sur scène, mais sur disque c’est remarquablement produit par Tahiti Boy. C’est encore Catastrophe qui parle le mieux de cette musique qui vient d’ailleurs : « Nous avions envie de gospel, mais dans un monde sans Dieu. Une certaine idée de la vie, magique et lucide, une magie d’ici et de maintenant. » Mieux vaut écouter ça que faire son yoga ou voter écolo. Oubliez les gourous de notre temps, rejoignez plutôt cette étrange confrérie : la fin du monde n’est pas pour tout de suite, il nous reste quelques jours – et Catastrophe en fournit la bande-son.
GONG ! (Tricatel).
Par Louis-Henri de La Rochefoucauld