Remarqué en 2017 avec le déjà excellent Supermercado, le quatuor montréalais revient avec un album encore meilleur : vive le Québec libre !
Rafraîchissons la mémoire de nos lecteurs : au fil de son histoire, Technikart a rarement porté aux nues les artistes québécois. Dans nos archives, pas de grand entretien de Lynda Lemay ni de couverture Isabelle Boulay, encore moins de hors-série Céline Dion avec discographie commentée, photos de famille et poster détachable. Quant à Garou, la décence nous oblige à ne pas nous attarder – on ne tape pas sur Quasimodo. La scène canadienne finirait-elle le Québec dans l’eau ? Il y avait bien Arcade Fire, mais leur grandiloquence de plus en plus gênante pouvait donner envie de se planquer dans un maquis… Un réseau de résistance s’est organisé à Montréal autour de Dominic Berthiaume, Julien Perreault, Jonathan Robert et Julien Bakvis, colocataires et, pour certains, amis d’adolescence : actifs depuis le début des années 2010, les quatre membres de Corridor avaient déjà sorti deux disques, Le Voyage éternel (2015) et l’impeccable Supermercado (2017), avec des chansons aux noms non moins parfaits, comme « Du Moyen Âge à l’âge moyen ». La médiocrité n’est pas leur rayon. Et ils hissent encore leur niveau avec Junior, album qui fait d’eux le premier groupe francophone signé sur Sub Pop (label qui n’a jamais envisagé sérieusement de recruter Diane Tell).
Ce n’était pas gagné. Si l’on en croit les déclarations de Jonathan Robert, leur méthode a en effet de quoi laisser sceptique : « Il n’y a pas de processus prédéfini dans notre création. Souvent, on arrive avec des bouts d’idées, des anciens jams enregistrés, et puis dès qu’on entend quelque chose qui sonne à notre goût, on travaille dessus. » Des gens qui tapent le bœuf ? A priori, non merci. Surtout quand ceux-ci le font au débotté et dans l’urgence. Six titres de Junior ont ainsi été composés en un seul week-end, et l’album a été enregistré en un mois et demi montre en main. Cela fait peu. Et pourtant, le miracle opère dès le morceau d’ouverture, « Topographe », qui sera suivi par plein de titres du même tonneau, mélodiques, impressionnistes et pétaradants, où les guitares se répondent (« Microscopie », « Grand Cheval », « Pow », « Bang »). On pense aux débuts de R.E.M., au Marquee Moon de Television, aux trois premiers albums de Wire… Du post-punk Canada Dry, qui aurait la couleur et le goût du post-punk, en étant qu’un pâle ersatz du genre ? Non, ils renouent avec l’esprit do it yourself, jusque dans les clips, qu’on dirait bricolés par un Wes Anderson lo-fi, ou la pochette, « un collage merdique de dernière minute » réalisé par l’un des deux chanteurs. Parlons-en, de leurs voix. On échappe par bonheur aux trémolos de Céline Dion sur son Titanic qui coule à pic autant qu’aux borborygmes de Garou se prenant pour un Bruce Springsteen de cathédrale, lancé à la poursuite des gargouilles. Pas de kitsch de ce genre chez Corridor : ils ont choisi leur couloir et s’y tiennent, s’autorisant ici et là quelques petites digressions à la Brian Eno (« Goldie »). Bref, il n’y a pas que des Boulay au Canada. Tabernacle !
LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD