LÉLIA DEMOISY : « LA NATURE FAIT OEUVRE »

Art in paris — Lélia Demoisy

Diplômée des Arts Décoratifs de Paris, cette artiste plasticienne travaille le bois avec obsession. Elle fait partie du programme « Conversations avec la Nature » de Ruinart. Interview.

Pour le jardin du 4 rue des Crayères, adresse emblématique de Ruinart à Reims, tu as construit autour de deux érables une longue structure métallique. Que représente ce matériau dans ton art ?
Lélia Demoisy : La plupart du temps, ce sont des matériaux issus du vivant que je travaille. Mais ma toute première pièce était déjà une association bois-acier. J’aime cette combinaison du vivant et d’un matériau ultra-manufacturé. Pour « Entre Nous », j’avais ce souci de pérenniser l’œuvre dans le jardin, mais aussi d’avoir une matière qui me permettait d’avoir ces racines lisses et continues. Finalement, j’ai mis l’accent sur la durabilité du métal pour cette structure qui fait œuvre avec les deux érables.

Tu as une formation de scénographie aux Arts Décoratifs de Paris. C’est là que tu as appris toutes ces caractéristiques techniques ?
Les Arts Déco m’ont formée en menuiserie de théâtre. Mais grâce à mes stages, j’ai travaillé avec Alaric Chagnard, le seul créateur de masques pour le théâtre en France. C’est avec lui que j’ai commencé à utiliser des gouges, que j’ai appris à travailler le bois dans le sens du fil, à connaître le haut et le bas d’une pièce en bois. Et puis, il y a tellement d’essences de bois différentes dans le monde. Récemment, j’ai travaillé l’azobé que j’ai récupéré d’un vieux stock de charpentier, c’est un bois exotique très dense qui appartient à la famille des bois de fer. Travailler ça, c’est presque comme si on travaillait une pierre. Alors qu’un bois de bouleau, un bois de peuplier, c’est comme si on travaillait dans du beurre.

Avec tes œuvres tu veux montrer la magie du vivant…
Ce n’est pas du tout une magie spirituelle ou d’animiste. C’est quelque chose d’intrinsèque aux faits biologiques, à la botanique. Mais sur certaines pièces, je parle de la projection qu’on fait de notre spiritualité sur le vivant. J’ai sculpté une énorme cloche dans le tronc d’un cèdre de l’Himalaya qui fait partie d’un projet global que je mène depuis 2023. Un cèdre a été abattu sur un terrain de mes parents et a été vendu. Ça m’a beaucoup affectée, c’était un arbre en bonne santé, il avait 80 ans, on y avait même enterré les cendres de nos chiens avec mes sœurs. Et puis, dans notre vocabulaire, on parle de la charpente d’un arbre et de sa flèche. Il y avait quelque chose de l’ordre de l’Église.

Cette magie du vivant que tu représentes s’ancre dans des recherches scientifiques ?
Les arbres sont les génies de la perméabilité au monde. Comme ils ne peuvent pas bouger, ils sont de façon très intime connectés à leur milieu. Que ce soit par les racines avec le mycélium, dont ils sont forcément dépendants pour pousser, mais aussi avec les insectes, les oiseaux, les chauves-souris… Il y a un livre très intéressant sur le sujet, Être un chêne, de Laurent Tillon. Il montre que le chêne ne grandit pas seul, dans sa forêt, à côté des autres. Il est dépendant de tellement d’espèces…

Cette démarche fait penser à celle du land Art, ce mouvement de l’art contemporain qui consiste à créer in situ des œuvres naturelles, soumises à l’érosion…
Je rencontre le Land Art parce que je parle de la nature, que la nature fait œuvre. En revanche, je ne me revendique pas du tout de ce mouvement parce qu’il y avait à l’époque un interventionnisme très lourd dans le paysage. Il existait même un mouvement qui s’appelait Earthwork, littéralement, les terrassiers, parce qu’il y a des œuvres où ils remodèlent le paysage pour faire œuvre. Dans mon travail, j’essaie d’intervenir de façon un peu plus légère et subtile.

Tu ne travailles qu’avec des matières végétales ou animales récupérées. Amener ta démarche d’éco-conception dans le monde de l’art contemporain qui est, lui, particulièrement immédiat et peu responsable doit être un défi…
J’ai eu la chance, en travaillant avec Ruinart, qu’ils comprennent ces problématiques et que toute la mise en caisse de mes pièces soit faite en carton. Ils ont parfaitement compris mon désir de vouloir aller, par exemple, à la foire de Madrid en train. .Mon travail reste celui de la poésie et c’est absolument capital que les sujets de la nature, de notre lien à l’environnement, soient exposés dans le milieu de l’art contemporain aussi.

@leliademoisy

« Conversation avec la Nature » soutenu par Ruinart à Art Paris, du 3 au 6 avril 2025.

 

Par Adèle Thiéry
Photo Alice Jacquemin