Gare ! Durant l’étape séduction, un nombre galopant de mecs hétéros claironnent leur féminisme. Authentique conviction, adhésion bidon au mouvement ou, pire, instrumentalisation crasse de la lutte – histoire de piper les dés du flirt ? Enquête en eaux troubles.
Légende photo : HARRY A TOUT PRIS_ Le chanteur et comédien préféré des ados de la West Coast porte des tenues androgynes avec style. Et sait faire de la masculinité positive un bon bizness. En espérant que ça vire pas en remake de Black Swan.
Scandale estival à la Mostra de Venise : Harry Styles, figure over-friendly de notre société, a montré son vrai visage. Spéculation or not, le chanteur postillonne délibérément sur sa co-star Chris Pine en marge d’une projection du film Don’t Worry Darling, dans lequel il joue (très mal). Une vidéo qui a été vue plus de 14 millions de fois… Sir Harry ou le Saint-Père multicolore a été très vilain cette année – ça cache sûrement un trouble dissociatif de l’identité. Oui, mais non. La critique de la misogynie aurait-elle été récupérée, pour tomber entre les mains de faussaires de l’éthique aux astuces d’enjôlement aussi basses que celles de ce roublard ? À méditer.
Pour s’en remettre, on se pose dans un rade de Ménilmontant. Bloody Mary aux lèvres, Chelsea exhibe sous mes yeux le profil Tinder de « Greg ». « mec esseulé dispo pour démarrer une correspondance épistolaire », si l’on en croit sa bio. Et surtout proféministe assumé. Revendiqué, même. « D’emblée il a souligné avoir lu le dernier Chollet, écouté Les Couilles sur la table, s’intéresser à la contraception masculine ». Charmant. Mais, doit-on, le préciser ? Chelsea partage tout azimut du contenu féministe sur Insta. « Il a dû cramer et s’aligner là-dessus », tranche notre désenchantée. Car il ne lui aura pas fallu plus de 30 messages pour voir Greg pour ce qu’il était : un sale fake. Approche cavalière, demandes intrusives… Démasqué. « Ciaoooooo looser » lui balance en live ma voisine de table, pas dupe pour un sou. « L’antisexisme a la cote. Les mecs ont bien capté qu’on attendait ça d’eux, alors il s’en servent pour nous embobiner – et basta », expédie-t-elle. À raison ?
L’ARNAQUE DE LA DÉCENNIE
À écouter Chelsea, il existerait un « feminist baiting ». Sorte d’équivalent au « queerbating », ce subterfuge opportuniste visant à magnétiser l’audience LGBT+ par l’artifice et les faux-semblants, dont ce vil escroc d’Harry Styles est devenu le sinistre emblème, à coup de mise en scène piochant outrageusement dans le répertoire arc-en-ciel (vernis, minijupe, maquillage non-genré…), alors même que l’ex coqueluche des One Direction, qui campe un policier gay dans My Policeman, joue de tous les codes queer tout en se montrant affreusement hétéro-beauf à la ville.
Ces messieurs révisent leur approche, donc. Jusqu’à se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas ? Pour Léa, pas de doute. « De plus en plus de mecs piochent abusivement dans le capital militant du féminisme pour faire d’une lutte contre la domination masculine un (énième) outil de domination masculine ». Via le flirt. Une aberration, dès la base. « Être féministe devrait juste être normal. Est-ce-qu’on drague quelqu’un en stabilotant en jaune, vert et rose son antiracisme ? Non. Notre mouvement est une affaire de vie ou de mort. Hors de question qu’il serve de « cache-connardise » à des brochettes de misogynes choisissant d’avancer masqués ». Des profiteurs réduisant le féminisme à une « tendance » sur laquelle surfer pour baratiner. Et c’est tout.
FÉMINISTES AUTOPROCLAMÉS
Concernant ces « alliés en carton », justement, le vernis s’écaille illico presto. « C’est mathématique. Plus le mec en fait trois tonnes sur l’égalité femmes hommes plus derrière il y a que dalle – si t’es vraiment féministe, t’as pas besoin de le crier sur tous les toits, tu le démontres en action. Point », assène Maryama. Et d’égrener le chapelet des déconvenues auxquelles elle s’est heurtée, une fois en couple avec ceux qu’elle pensait de « bonne pioche ». « Inégalité des tâches ménagères, non-respect de la divergence des désirs sexuels, mansplaining… ». En somme, pour citer pied au plancher Simone de Beauvoir ou Valerie Solanas (soyons fous) « histoire de nous conduire au pieu, on est servies ». Mais dès qu’il s’agit d’entrer dans la pratique – toc, toc, toc – y’a plus personne. À part une grappe de réflexes aux relents sexistes. « S’il est facile de brandir le féminisme comme label, le chemin vers la pratique concrète de l’égalité entre les sexes dans l’intimité se révèle souvent épineux », résume Francis Dupui-Deri, codirecteur de Antiféminismes et masculinismes d’hier à aujourd’hui.
« Les hommes se sentent obligés de montrer patte blanche pour éviter les cartons rouges, en mobilisant une grammaire d’apparat bien connue – sensibilité woke, port de boucles d’oreilles… », explique Gwen Ecalle, présidente de l’association Les Sexosophes. Avant de plonger les femmes, une fois leur vrai visage révélé, dans un état de « consternation ». Avec le sentiment « d’avoir été naïve, flouée ». Et que du côté des beaufs antédiluviens comme de celui des déconstruits mouture 2022, c’est « toujours la même chose ». Amer constat. Mais le tableau n’est peut-être pas si noir. « Le volontarisme à l’endroit du féminisme dont font montre les dragueurs hétéro, quoique parfois maladroit et occasionnellement malveillant, peut aussi être de bonne foi. Et atteste d’une vérité à l’échelle sociétale : le féminisme gagne du terrain à vitesse grand V. S’il est devenu impossible de faire l’impasse sur le sujet dans le cadre de la séduction, c’est bien qu’il est passé de thème méprisé à cause incontournable. Une condition sine qua non de l’entente entre les sexes ». Et qui s’en plaindrait ? Pas nous. Marche (vrai) féministe, ou crève célib’!
Par Antonin Gratien