Devenir un mythe ? Rien de plus facile !
1-Etre immédiatement identifiable physiquement.
Eviter la panoplie costume noir tee-shirt assorti, même les serveurs de la cafétéria du musée sont habillés comme ça aujourd’hui. Privilégier plutôt la perruque (Warhol), le chapeau (Beuys), les coupes hors normes (Basquiat, Barney) ou le look boys band de luxe (Hirst, Eno).
2-Au lieu de converser normalement avec les gens
et de répondre posément aux questions des critiques et des collectionneurs, préparer une batterie de phrases cinglantes à asséner en toute occasion : « Le monde est un oignon », « L’art n’est pas un dîner de gala », « Quand j’entends l’expression figuration libre je sors mon revolver. »
3-Ne jamais se déplacer seul.
Ne se rendre dans un vernissage ou une soirée qu’accompagné d’une cour qui pouffe à tout ce que vous dites et toise les autres à votre place. Cette cour devra impérativement comporter un philosophe patibulaire qui se gratte le bouc chaque fois que vous balancez une connerie et un géant au rire puissant et aux manières efféminées.
4-Créer une version expurgée de son travail
explicable en une vingtaine de mots à la télé. Ce concept-kit devra impérativement être centré sur le sexe, la violence ou l’argent. Parce qu’à la télé, l’art pour l’art…
5-Investir un lieu à soi où les autres viennent vous voir.
Sur votre terrain, ils feront moins les malins. A défaut de pouvoir vous payer la Factory, une soirée mensuelle dans un club ou une causerie récurrente dans une galerie amie fera l’affaire.
6-Ne rien laisser filtrer de sa vie privée,
laisser planer un doute sur la nature de sa sexualité. Ne manger, ni boire en public. Vous êtes un concept, pas un être humain. Moins vous en ferez, plus des rumeurs abracadabrantes circuleront autour de votre nom.
7-Finir tragiquement.
C’est là que ça se corse : comme les rock stars, les artistes morts dans leur lit ne font pas fantasmer les foules. Les duels étant un peu passés de mode et l’overdose devenue très vulgaire, nous vous conseillons un suicide rituel sur le Net (fascination de l’Orient + nouvelles technologies = le duo gagnant des années 90). Ce simulacre vous permettra ensuite d’écrire des bouquins sur le management et la publicité sous un nom d’emprunt dont vous avez, au fond, démontré que vous maîtrisiez parfaitement les règles.
Jacques Braunstein, 1998
