Ils sont parmi nous ! Les slashers envahissent l’open-space ! Ces actifs cumulant volontairement plusieurs jobs se multiplient, dans la plus grande discrétion. Marielle Barbe, auteure de Profession Slasheur (Marabout, 2017), nous Ndévoile l’incroyable vérité sur ces bosseurs ambidextres.
Photo de Une : Brice Krum
Quel est le profil moyen du slasher ? Niveau d’études, de salaire, secteur d’activité… ?
En fait, les statistiques mélangent un peu tout. Elles parlent de pluri-actifs, et confondent les intérimaires avec les slasheurs. La dernière vraie étude sur les « multiactifs » date de 2016. Autant dire la préhistoire !
Alors que de plus en plus de Français doivent cumuler 2 jobs pour joindre les deux bouts, le slashing apparaît comme un privilège d’insider, non ?
Plus vraiment. Certains de ceux que j’ai rencontré pour écrire mon livre sont devenus slashers… par hasard. Après un licenciement ou un accident de la vie. Je pense notamment à cette journaliste passionnée de déco, virée à 55 ans d’un grand magazine, contrainte de redevenir pigiste. Pour mettre du beurre dans les épinards, elle a lancé, en parallèle, sa boîte de décoration d’intérieur. Assez vite, cette activité accessoire est devenue une véritable source de revenus. Mais pour autant, elle n’a pas lâché le journalisme, parce qu’elle adore son métier. Elle a simplement trouvé son équilibre entre des activités complémentaires. Voilà comment on peut devenir slasheur.
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CDI vs Passion ?
On dit souvent que le slasher est un(e) cadre qui cumule un métier alimentaire avec un métier passion. Cette image est-elle juste ?
J’aime bien parler de « salariat hybridé ». Il y effectivement souvent d’un côté le métier « stable » (CDI), et de l’autre le job aventure en auto-entreprise. Comme l’explique Dénis Penel, le CDI reste un graal en France, pas comme on pourrait le penser parce que la sécurité de l’emploi fait rêver, mais pour ce qu’il permet, comme simplement pouvoir louer un appartement, ou obtenir un prêt pour acheter une maison.
J’ai l’exemple d’une pilote de ligne canadienne que j’ai interviewée, qui passe ses jours de congés à faire de la numérologie. Piloter est son rêve d’enfance et la numérologie sa passion d’adulte. Deux passions, deux métiers, deux statuts.
Par contre, c’est différent pour les nouvelles générations. Les jeunes ne restent pas longtemps dans un CDI alimentaire. Ils posent leur démission au quart de tour. Je pense à une jeune diplômée d’HEC qui n’a pas hésité à lâcher un poste de consultante dans un grand cabinet d’audit pour se lancer dans une carrière de stand-uppeuse… Tout en servant dans un bar pour payer son loyer. Les entreprises ne voient pas ce qui va leur tomber dessus [avec la Génération X, ndlr].
Comment expliquez-vous cette révolte des premiers de la classe, dont parle aussi Jean-Laurent Cassely ?
C’est l’échec total de notre système d’orientation scolaire. On ne compte plus les erreurs d’aiguillage. Notamment à cause de l’injonction de passer par des cursus scientifique pour accéder aux grandes écoles.
C’est général. L’école à mon sens, passe à côté d’une de ses fonctions essentielles : nous apprendre à nous connaître. À découvrir quels sont nos talents et nos multiples formes d’intelligence. L’école impose un modèle unique, alors qu’en réalité, chez la plupart des gens, 1 + 1 = 3 ! Elle devrait nous aider à faire émerger et à assumer notre singularité, celle qui permettrait à chacun d’être à la juste place qui est la sienne.
On formate les gens à devenir experts. Mais, en 30 ans, les experts se sont fait doubler par… Internet ! Les entreprises ne s’en rendent pas encore compte. Leurs employés sont des avions de chasse, et les entreprises leurs courent après à dos de mammouth ! C’est ce décalage énorme qui participe à créer les burnouts, les bore-out, l’absentéisme, etc.…
Si les entreprises invitaient leurs salariés à la créativité et l’initiative, on irait vraiment beaucoup mieux ! Et ce serait gagnant-gagnant pour les boîtes. Contrairement à ce qu’on pense en France, c’est tout à fait possible de changer. La preuve : le gouvernement canadien à réformé le statut des fonctionnaires pour attirer les jeunes. Désormais, on a plus de poste « à vie », mais on est invité à changer tous les 3 ans, selon ses aspirations. Génial non ?
Que conseilleriez-vous à un créatif, qui, comme moi, passe son temps à mouliner du jus de crâne devant son écran ?
De bosser aussi dans un potager partagé, de customiser des meubles et les revendre ou d’aider une assoc ! L’esprit a besoin de diversité pour se recharger. On ne peut pas être créatif 24h/24, sinon on s’épuise. L’équilibre, c’est d’utiliser autant sa tête que son corps et son cœur. Quoi de plus logique lorsque l’on sait que selon l’OMS, “La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social.. On n’est pas des têtes sur pattes !
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Deux métiers = zéro vie privée ?
On n’a pas besoin d’être slasheur pour bosser 18 heures par jour. N’importe quel avocat ou publicitaire vous le dira ! Par contre, le gros problème du slasheur c’est de devoir faire la compta de sa micro-entreprise à 22 heures après une journée de boulot et une soirée en famille ! Il va falloir que les pouvoirs publics nous simplifient vraiment la vie. Je connais des slasheurs qui cumulent 4 statuts (CDI, auto-entreprise, droits d’auteurs, associé d’une SAS). Au niveau de la sécurité sociale et des impôts, c’est un véritable casse-tête administratif. Et parfois, très très casse-gueule.
Entretien Jacques Tiberi