L’EXPO DU MOIS : CRU

Expo cru

Carole Mousset a pour art statement le body gaze. Elle peint le corps, la chair, le vivant, qui fascinent autant qu’ils écoeurent. Pour sa deuxième exposition parisienne, ses œuvres organiques semblent liées malgré les murs blancs, comme un paysage infini de textures charnelles. 

« On a tous cette perversion de voir ce que l’on n’est pas censé voir, comme l’intérieur du corps. » Carole Mousset ouvre la chair, lui donne des formes, s’en approche au plus près. À l’occasion de l’exposition « CRU » de la Chapelle XIV, elle présente une dizaine d’œuvres, à côté de celles de Lucile Boiron et Ellande Jaureguiberry.

Chair fraiche, chair animale, chair amoureuse… comme des compositions charnelles, Carole Mousset crée des paysages sanguins. Peignant d’après des photos, l’artiste de 29 ans se qualifie comme peintre figurative, tout en gardant un côté d’abstraction : « J’appréhende l’image comme un paysage onirique où on trouverait différentes formes. Le recadrage fait qu’on perd l’origine des photos, si c’est d’après un corps humain, un animal… Je cherche des formes molles, rosées, pour représenter l’organique ». L’artiste nous propose des échantillons de matières sanguines agrandies à l’extrême, comme vues au microscope. « C’est aussi une façon de pouvoir regarder un élément qui, dé-zoomé ou réel, rebuterait toujours.»

BODY GAZE

Influencée par le cinéma gore des années 1980, qu’elle a découvert lors de sa formation aux Beaux Arts de Nantes, Carole Mousset fantasme la chair, clin d’œil à Cronenberg : « Dans son cinéma, la notion d’ouvrir le corps est fantastique et fantasmée, il y a un rapport psychologique, comme une exploration intérieure. Dans les films de série B, le sang n’est pas forcément rouge, mais cela reste violent et cruel. Jappréhende ces choses à travers le « body gaze », c’est-à-dire par le prisme de l’organique ». Suivant cette esthétique gore au début de son travail, Carole Mousset s’est heurtée à une violence qui ne lui plaisait pas, alors elle a adouci sa palette de couleurs pour s’éloigner du réel. « C’est une manière de désacraliser la chair. La représenter et la sublimer par des couleurs douces me permet de me reconnecter à une intimité. On peut aussi voir mes peintures comme le fantasme qu’on se fait de son propre intérieur. »

DOUCE DISSECTION

L’artiste basée à Bruxelles a développé cet attrait pour la chair lors de l’adolescence, période d’une construction identitaire, lorsqu’elle entretenait un rapport avec le monde médical. « J’avais une distanciation avec mon corps. Je n’ai pas pu aborder ma propre intimité comme on peut le faire à cet âge là. » Comme pour enfin toucher sa chair, Carole Mousset décortique des endroits vivants, les étire, pose son regard sur de minuscules parties de l’être. Ses œuvres, et celles des deux autres artistes ,mettent le corps à nu et le présentent de façon crue tout en y convoquant la douceur, ce qui n’empêche pas un certain malaise. Sur la toile Étoile de mes yeux, tirée d’une photo d’animal, Carole Mousset a volontairement laissé un œil, qui nous regarde : « Je voulais redonner une âme à la chair, ajouter l’idée de voyeurisme chez le spectateur ». Certains sont dégoutés ou y voient la douceur sans comprendre ce qu’ils regardent. « La peinture, c’est de la sensation, alors je trouve intéressant cet espace de doute que l’on peut avoir. Par la technique, je peux faire en sorte que le regard soit quand même attiré. J’aime bien capter cette ambivalence d’attraction/répulsion. »

Du 5 mai au 29 juillet à la Chapelle XIV, 14 boulevard de la Chapelle,75018 Paris. (Curatrice : Joséphine Dupuy Chavanat).

CRU
Carole Mousset
Chapelle XIV, Paris.

Par Mathilde Delli