Selon Louis-Carl Vignon, Président de Ford France, l’industrie automobile a désormais besoin d’un cap politique clair pour mettre en marche sa révolution électrique. Interview solutions.
Depuis votre arrivée chez Ford en 2017, comment le marché de l’automobile a-t-il évolué ?
Louis-Carl Vignon : À la suite du Covid, le marché s’est discipliné. La production a diminué, tandis que la demande a augmenté. Cette année 2024 voit le retour à un marché très concurrentiel, avec deux différences notables. Une diminution de la production de 25 % par rapport à 2019, et la multiplication de modèles électriques disponibles sur le marché, en même temps que la disparition progressive des véhicules diesel. Le segment hybride domine aujourd’hui, suivi par les modèles à essence.
Cette diminution de vente de véhicules diesel (elle représentait 80 % du marché il y a dix ans contre moins de 10 % aujourd’hui, ndlr), est-elle compensée par la croissance des ventes des véhicules électriques ?
Dans l’absolu, non. Mais en additionnant avec les véhicules hybrides, le marché s’en approche. Tout le monde a pris conscience au niveau national et européen qu’il y avait des modes de propulsion plus vertueux. Nous menons des études pour répondre à deux questions : comment les clients réagissent au changement climatique ? Que sont-ils prêts à faire à ce propos ?
Les réponses ?
La seconde main est une tendance de fond, avec des sites comme Vinted qui ont explosé. Quant à l’automobile, domine l’envie d’aller vers des véhicules plus vertueux. Ce que disent également les clients pour aller vers l’électrique – notre solution à court et moyen terme –, c’est que le gouvernement et les entreprises doivent montrer la voie. L’offre de voiture électrique est désormais pléthorique, nous ne sommes pas étrangers à cela, puisque nous sommes passés de zéro modèle en 2019, à cinq aujourd’hui. Pour cela, il faut des encouragements fiscaux, c’est ce que nous montre l’exemple de la Norvège, qui est une réussite.
Quid de la France ?
Tout est assez incohérent. Trop vite, les bonus à l’achat ont diminué, passant de 7000 € à bientôt 3000 €, alors que la demande a encore besoin d’être stimulée. Par ailleurs, du fait de sa promesse de campagne, le gouvernement a lancé un leasing social efficace, mais qui n’a duré que deux mois, pour un coût de 650 millions d’euros, et pour ne profiter qu’à 50 000 personnes… D’autre part, du côté des entreprises, nous avons le bâton avec la loi LOM qui oblige les entreprises de plus de 100 000 véhicules à électrifier le renouvellement de leur parc automobile, mais sans la carotte, puisqu’ils ont supprimé le bonus à l’encouragement d’une telle mesure. Le gouvernement fait des choix politiques, mais nous avons besoin de plus de clarté.
Puisqu’il est périlleux de se positionner en fonction des annonces des différents gouvernements, en particulier du nôtre, comment bien définir une stratégie marketing qui convainc les consommateurs de passer à un véhicule électrique Ford ?
Nous avons un cap clair : 2035 et le bannissement des moteurs à combustion eu Europe. Nous sommes également guidés par les normes CAFÉ, qui limitent les émissions de CO2 de chacun des constructeurs, évolutives et plus sévères tous les cinq ans. Pour atteindre ces objectifs, nous devrons immatriculer 25 % de nos véhicules en électrique l’année prochaine. Or, le marché européen en est loin en termes de demande. Notre stratégie marketing est de rendre 100 % électriques les modèles iconiques et préférés des usagers de la marque.
Qu’est-ce qu’une icône Ford ?
La « fordisation », Les Temps modernes, Charlie Chaplin… C’est une voiture accessible, à la pointe de la technologie ! Nous sommes un des plus vieux constructeurs au monde, né en 1903, avec un fort imaginaire collectif, d’accès à la mobilité et à la technologie.
Le futur de la mobilité et de la technologie pour un véhicule ?
La pointe de la technologie, ce sont des interfaces homme-machine, ou de tablette intérieure, augmentée, avec deux éléments forts : la sécurité embarquée et la conduite autonome. Notre Ford Mach-E avec son système BlueCruise, homologué en Angleterre, en Espagne et bientôt en France, permet de conduire sans les mains sur autoroute, tout en sécurité. Mais toutes ses technologies, avec une place de choix à l’IA dans la communication avec la voiture, ont pour objectif de réinventer le plaisir à la conduite, qui est notre cœur de métier avec une mobilité accessible.
Le 3 décembre, vous avez présenté la version électrique de votre Ford Puma. En quoi électrifier un modèle participe-t-il de l’évolution de son design et de ses possibilités pratiques ?
En passant à l’électrique, nous supprimons le pot d’échappement. En résulte des coffres plus larges. La Puma se distinguait déjà par une « mega-box », un renfoncement étanche dans le coffre qui permettait à des sportifs de laver leur VTT ou leur planche de surf. Désormais, cette Puma Gen-E offre une « Gigabox », plus grande. C’est en somme toujours un véhicule sexy et malin, mais d’autant plus pratique maintenant.
Vos objectifs pour 2025 ?
Rester le leader du véhicule utilitaire, et tenir notre position au global de septième sur le marché français. Enfin, développer ce que nous sommes seuls à proposer avec notre Ford Kuga, qui roule au bio-éthanol, le carburant le plus attractif aujourd’hui.
Par Alexis Lacourte
Photo Axel Vanhessche