Derrière ses 1m90 d’egotrip, Dau livre un rap programmé pour les moshpits, où chaque détail compte. Un chaos sous contrôle, une DA millimétrée, une authenticité sans filtre. Portrait d’un dopé à la « crack music ».
Jeudi 6 février 2025, rue Mandar, 2e arrondissement. Le soleil refait surface, et avec lui, une grande silhouette longiligne débarque, jean large, sac de sport en main. Dominique Iloki, alias Dau, 28 ans, est imposant par la taille, accessible par l’attitude. Il a explosé en 2022 grâce à son hit « Finale » à plus de 40 millions de streams lors de la finale de l’émission rap, Nouvelle école saison 2. Le sourire qu’il servait aux caméras Netflix ? On retrouve le même lorsqu’on l’interroge sur la rançon de son succès soudain – en plus nuancé, peut-être. « D’un côté, ton Insta explose, tout le monde t’encense et tes streams s’envolent. Puis, la hype retombe. Tu perds direct 60 % de la commu… ». Mais il enchaîne vite : « Je ne cherche pas à être une rockstar, j’accepte la réalité, peut-être que ma destinée c’est ça, être un artiste de niche. » Est-ce de cette double fatalité, entre éclat médiatique et quasi-anonymat, que vient l’invention de ses deux alter ego – Dennis et Captain Amazing – qu’il met constamment en scène dans ses clips ? On rembobine.
L’AGRESSIVITÉ À LA MODE
Comme souvent, c’est dans l’enfance, que le rappeur passe à Longjumeau (91), dans le quartier de la Rocade – où il vit encore, avec sa mère – qu’il faut chercher les causes de cette schizophrénie scénique. « J’étais ultra introverti, je ne traînais avec personne. Dennis et Captain Amazing, au début, c’étaient juste des potes imaginaires, ils n’avaient même pas de noms. » Vingt ans plus tard, Dau s’est approprié ces jumeaux fantasmés qu’il incarne dans ses sons. D’un côté, Dennis est nerveux, abrasif, prêt à tout dynamiter, incarnation de l’egotrip et de la rage pure. De l’autre, Captain Amazing est introspectif, en quête de sens, plus vulnérable. Amazing (Sony music, 2025), son dernier album, est sa carte de visite. Plus posé, il laisse Captain Amazing prendre le lead, mais l’ombre de Dennis n’est jamais loin, maintenant une tension sous-jacente.
« JE VEUX REMETTRE L’AGRESSIVITÉ À LA MODE, FAÇON CONCERT DE MÉTAL. »
Cette scénographie de soi, inondant ses clips, Dau la tient de la danse, du graff’ et du théâtre, pratiqués dans son adolescence : « Ça m’a appris à incarner un personnage, à être à l’aise devant la caméra pour les clips… ». Il est loin, le Dau introverti, lorsque ExitVoid, collectif de cinéastes indés, « devenus des amis », shoote et capte son assurance et son énergie brute, qu’il a lentement développées de l’autre côté de la Manche. À Londres, il a passé deux ans plongé dans le beatmaking aux côtés de ses colocataires, Junior et Léo – bien réels, eux. Le son UK l’attrape : Little Simz, Unknown T, Skepta… Tout comme l’Américaine Doechii, dont les danses hip-hop allient expressivité théâtrale et chorégraphies précises : « Elle commence à introduire cette tendance qui aurait dû être là depuis longtemps. La danse, c’est la représentation physique de la musique, et pourtant, il y a trop peu de vrais mélanges entre les deux. Alors qu’il y a des danseurs incroyables, connus dans le monde entier ! Imagine, si on les intègre vraiment à la scène rap, je me remets direct dedans et je fais une choré avec eux. »
Sur scène, inspiré par la Doechii-attitude, Dau danse, performe, parfois à l’extrême. Au point de littéralement casser une scène (RIP les Ardentes – été 2024). Son obsession ? Remettre « l’agressivité à la mode », surtout en live. « Façon concerts de métal . Ils se pétaient la tête, secouaient leurs cheveux dans tous les sens… C’est ça, l’agressivité dont je parle ». Certains fouineurs tomberont aussi sur son portfolio de mannequinat en ligne. Dau a été de passage dans l’agence Revolt située à Londres : « C’est là que mon amour pour la mode est né. Depuis, c’est devenu un jeu qui façonne mon identité. » La représentation de soi, toujours.
CRACK MUSIC
Quitte à se créer des personnages en série, Dau s’est aussi forgé un style, la « crack music ». Une dope sonore qu’il revend comme des cassettes : addictive, crue, dérangeante. « Briser les codes, c’est l’idée. Comme dans Shawn Michaels, où je balance : zéro règle, pas de structure. C’est pas calibré pour les charts, c’est illégal – musicalement parlant. Mais on le fait quand même. Et les gens consomment. Y’a toujours des passionnés qui captent les détails : un snare hors tempo, une prod improbable… » Avec lui, rien n’est laissé au hasard. Artiste ultra-productif avec une vraie direction artistique, depuis qu’il a pris le rap au sérieux en 2022, il balance au moins un projet par an – L’Heure de graille (2022), 2CB (2023), DENNIS (2023), États d’âmes (2024), Amazing (2025) – en restant pourtant toujours en marge de la scène rap actuelle.
Sur « Cœurs Balafrés », dernier track de Amazing, Dau pose sur une prod de Tarik Azzouz, le Metro Boomin français passé par Jay-Z, Lil Wayne, Meek Mill… (co-réalisée avec le plus confidentiel Greg O Rice). Côté featurings, il se font rares. Le dernier en date ? Jewel Usain sur « Amazed », apportant une touche plus pure avec des instrus organiques. Derrière cette réserve, il y a un combat contre l’industrie : « Tu es littéralement en train de parier ta vie tous les jours. Si tu ne donnes pas tout, si tu prends le mauvais coup au mauvais moment, c’est fini. Il y a trop d’artistes qui ont disparu comme ça, fauchés en plein vol. Je ne sais pas quand mon KO va arriver. Mais tant que je suis debout, autant y aller à 30 000 %, choquer tant qu’on peut encore le faire. » Mais pas question de foncer tête baissée. Il applique à la lettre les conseils de son père : « La vie, c’est un marathon, pas un sprint. Si tu te presses, tu te casses la gueule. Faut être efficace, bien gérer sa course. Quand les autres fatiguent, c’est là qu’il faut accélérer. »
Les idées fusent pour la suite. Avec une musique imprégnée de storytelling, difficile de ne pas imaginer un court-métrage. « Ça, c’est l’une des idées que j’aimerais mettre en place. Parce que pour moi, ça paraît logique. Je veux que le projet entier soit un seul même clip, tu te bouffes une histoire. Je sais comment je veux le faire, mais il y a beaucoup de travail. Avant la fin de ma carrière, il faut au moins que j’aie fait un court-métrage. Et il ne va pas être court, d’ailleurs, ça serait un bon moyen-métrage ! »
Amazing, 2025, Keepaneye Record & Sony music France, à la Machine du Moulin Rouge (75008) le 23 mai 2025
Par Raphaël Baumann
Photo Axel Vanhessche