Sur son compte Instagram @Lecul_nu, elle parle de culture du sexe avec légèreté. Manon Lugas décrypte le boom du sextoy.
Aujourd’hui, un quart des Françaises et Français déclarent posséder un sextoy (Statista, janvier 2025). Et un quart des personnes en couples les utilisent avec leur partenaires…
Manon Lugas : Les perceptions sont en train de changer. Le sextoy a longtemps été plus vu comme un rival qu’un allié. Il impressionne parce qu’il répond à un besoin que l’on estime, peut être à tort, être la finalité la plus importante : l’orgasme. Donc évidemment, quand un petit objet arrive et fait le travail en deux minutes, on le voit comme un ennemi. Alors que c’est juste un outil supplémentaire, exactement comme des cartes à jouer, l’éducation sexuelle, ou des conversations avec des amis. Et puis, ce sont des outils qui promettent un orgasme presque immédiat, mais pas de l’affection, des regards, des odeurs, du contact. Le sextoy n’est pas un rival.
Tu dis même qu’il pourrait être vecteur de communication. Acheter un sextoy à deux, ce serait presque un gimmick ?
Je pense que dans le cadre du couple, les sextoys permettent d’aborder certaines conversations. On n’est pas très bon en communication, on ne nous a pas appris à dire ce qu’on aime ou pas. Donc quand tu vas choisir tel jouet au lieu d’un autre, le poser à tel endroit au lieu d’un autre, ça ouvre de nouvelles idées, de nouvelles questions qu’on n’anticipe pas.
Et en solo ?
On a beaucoup entendu parler d’avoir une chambre à soi, moi j’ai bien envie de dire qu’on peut avoir une artillerie d’objets à soi. Moi j’ai mes sex-toys, ils sont pour moi, ils seront pas pour mon couple. C’est mon jardin secret.
Et les limites, ce serait quoi ?
On peut tomber dans une sorte de dépendance, en tout cas une facilité, qui nous empêche d’aller nous poser d’autres questions. Pourquoi je ne jouis pas avec mon partenaire ? Pourquoi ma pote a une facilité à faire ça et pas moi ?
Tu dis que la forme du sextoy suit l’air du temps. Aujourd’hui, ce serait quoi ?
Les innovations vont vers des designs qui sont moins dans le spectacle, et qui ressemblent un peu plus à ce qu’attendent les anatomies de vulve. La communication autour n’est plus : « regardez messieurs, voici un deuxième pénis pour que vous réveilliez les voisins tous les soirs ! », mais plutôt des outils pratiques, petits, avec des technologies silencieuses et efficaces comme l’air pulsé. Voyez le dernier Satisfyer, qui rentre discrètement dans un sac à main, une valise. Sa petite taille arrange tout le monde.
C’est aussi du côté de la représentation que ça se joue. Avant, quand on évoquait le sexe, la parole était centré sur l’homme performant ; la femme, elle, était surtout objectifiée…
Dans les années 1950 encore, on était toujours dans un rapport à la sexualité où, dans les couples hétéros, c’était surtout l’homme qui était actif et la femme, très passive. La sexualisation des femmes était uniquement faite pour les hommes. Toute sexualité sortant de ce couple hétéro était une forme de déviance, soit on n’en parlait pas, soit c’était fantasmé.
« ON A ENFIN ACCEPTÉ QUE LES FEMMES SONT ACTIVES DANS LEUR SEXUALITÉ… »
Et aujourd’hui ?
On a enfin accepté que les femmes sont actives dans leur sexualité. Les communautés queer ou lesbiennes l’ont compris depuis bien longtemps, mais ont été effacée des représentations. Aujourd’hui, de voir que ça arrive dans les couples hétérosexuels qui sont toujours un petit peu à la ramasse, ça veut dire qu’il y a une certaine mouvance.
Les réseaux sociaux ont leur rôle là dedans ?
Ils ont tout changé ! On a connu des années 2000 très sexualisantes, parce que l’économie du divertissement a vécu un boom. Et les réseaux sociaux se sont imposés comme une nouvelle forme de communication qui a permis de faciliter les messages entre les communautés, de faciliter les rassemblements. Les réseaux ont créé une sorte réunion Tupperware virtuelles et anonymes (ces réunions à domicile de ventes de sextoys à leur apogée dans les années 2000, ndlr). Et puis, les communautés stigmatisées ont toujours parlé, mais les réseaux leurs ont donné une plateforme pour se faire entendre.
D’ailleurs, tu y participes, avec ton compte instagram et tes chroniques dans différents médias. Comment en es-tu venue à parler de ces sujets ?
J’ai commencé ma vie sexuelle avec ce qu’on appelle du vaginisme (contraction involontaire des muscles pelviens, qui empêche certaines pénétrations, ndlr). À mes 15 ans, j’ai rencontré une sexologue adorable qui m’a donné des livres sur le sujet, et j’ai commencé à me plonger sans ces études. C’était mon premier pas dans ce monde. Ça a mené à la création de mon compte Instagram, où je parle de la sexualité comme d’un immense terrain de jeu. Avec ses pratiques, mais aussi son aspect culture populaire. Plus on s’éduque, plus on comprend le rapport qu’on a avec notre sexualité et celle des autres.
Le futur du sextoy ?
Nos derniers progrès ont été de la mécanique pure et dure. Mais on est allé vers des orgasmes qui ne ressemblent pas forcément à ce qu’on peut avoir avec des humains en général. Je pense que dans le futur, ce sera un retour vers ça. Vers des technologies qui vont peut-être un peu moins brusquer notre anatomie. Ce que nous offrent les sextoys aujourd’hui, c’est un orgasme qui n’est pas vraiment naturel. On voudra peut-être y revenir.
Par Adèle Thiery