Pour l’anniversaire des 120 ans de Harley-Davidson, nous sommes tous conviés au concert qui se tiendra à l’Olympia le 6 novembre. Au programme ? Little Bob, Axel Bauer, Yarol Poupaud, David Hallyday, Haylen… au service de l’association Petits Princes. La DA de cette soirée d’anthologie a été confiée au leader des Devil Blues, Manu Lanvin. Interview à toute berzingue.
Tu es ambassadeur Harley-Davidson France depuis deux ans. Quel est ton premier souvenir de moto ?
Manu Lanvin : Figure-toi que c’était un PW 50, Yamaha ! J’avais comme grand-père spirituel un ami de la famille, un réfugié politique iranien qui avait voulu me faire plaisir avec cette petite moto. Au début des années 1980, Gérard [Lanvin], mon père, chargeait la bécane et on partait en faire sur les plages du Nord. Ensuite, à l’âge de treize ans, j’ai fait de l’enduro, je tournais dans les Landes, puis j’ai fait quelques compet’.
Et ta première Harley ?
C’est venu très tard, alors que j’avais, depuis petit, le fantasme Harley-Davidson. Lorsque j’ai réussi à vivre de ma musique, en gagnant suffisamment d’argent avec mes concerts, je suis allé me prendre un Sportster – généralement, c’est la première Harley à s’acheter, parce qu’ils sont facilement maniables, et que tu peux le customiser à mort. J’en ai fait mon objet d’art !
C’est l’american spirit qui t’a séduit avec Harley ?
C’est d’abord venu avec la musique et le cinéma. Mon trip Harley-Davidson est intimement lié aux mecs dont j’ai aimé le look, l’attitude, la posture, le caractère, la personnalité. J’ai toujours le film Easy Rider (Dennis Hopper, 1969, ndlr) en mémoire, ces sortes de hippies en marge de la société, qui roulaient avec des choppers Harley. C’est le goût de la liberté, de l’escapade, l’envie de tailler la route vers la Californie et d’aller là où le soleil se couche. C’est la conquête de l’Ouest.
Un univers qu’on retrouve sur la pochette de ton single avec les Devil Blues, « Make my escape ». Quel morceau représente le mieux l’esprit Harley, selon toi ?
J’ai composé mon nouveau morceau « Make My Escape » pour ça, justement ! J’ai collaboré avec Neal Walden Black (guitariste et auteur texan, ndlr), on a fait un texte qui parle de cette recherche de liberté et de fuite en bécane. Sur la cover, je roule avec mon Harley Low Rider. Sinon, il y a Steppenwolf, « Born to Be Wild » ! (Manu Lanvin sort son portable, et lance le morceau). Dès les premières mesures, on comprend, tu vois ? Pour moi, c’est l’hymne de Harley-Davidson ! Découvert avec Easy Rider, évidemment.
Tu as joué et fait les premières parties de Johnny Hallyday. As-tu fait de la bécane avec lui ?
Jamais, non. En fait, il était très timide et réservé, et même si je le connaissais depuis tout petit, j’étais impressionné par lui. En revanche, je savais que si je commençais à parler de bécane, de guitare ou de tatouages avec lui, alors là, on pouvait discuter ensemble pendant quatre heures !
À onze ans, tu commences à jouer de la guitare, celle que tu récupères du film Marche à l’ombre (1984), le chef d’œuvre de Michel Blanc dans lequel jouait ton père. Deux rencontres seront déterminantes : celle du chanteur et guitariste Calvin Russell d’abord, puis celle de Claude Nobs, le fondateur du Montreux Jazz Festival…
Et Quincy Jones, ma troisième grande rencontre ! Quand j’ai rencontré Calvin, dans les années 2000, je venais de me faire jeter de mon label (Warner, ndlr). Ils n’arrivaient pas à comprendre dans quel délire musical je voulais aller. À chaque fois, ils essayaient d’influencer ma DA vers des chemins qui ne me correspondaient vraiment pas. Calvin, à cette époque, avait aussi fait une croix sur les maisons de disques. Il voulait arrêter et s’occuper de ses chiens, à Austin. Un soir, je vais voir le concert de Paul Personne, qui avait invité Calvin pour un morceau. Calvin n’était pas venu en Europe depuis quatre ou cinq ans. Dès qu’il est monté sur scène, son magnétisme a scotché tout le monde, à tel point que La Cigale s’est transformée et qu’il n’a pas pu quitter la salle sans faire plusieurs chansons en duo avec Paul. En voyant le pouvoir qu’il avait sur les gens qui aiment le blues et le rock, ça m’a convaincu d’aller immédiatement le chercher à Austin, où il résidait. Il vient me récupérer à l’aéroport avec son pick-up, un Ford F-150, leur modèle fait avec Harley, et je lui dis : « Tu te rends compte, les Français t’adorent ! Faisons un album ensemble ». Il me répond : « Les maisons de disques, c’est terminé pour moi ! » Alors je lui ai dit : « Mais qui t’a parlé de maison de disques ? J’ai un studio, je connais quelques musiciens français vraiment pas mauvais, et toi, ici, tu secoues une branche, y’en a cinquante qui déboulent ! ».
Et vous faites l’album Dawg Eat Dawg (2009, XIII Bis Records).
Au départ, je ne lui propose que de produire l’album et d’organiser le travail ; de jouer le rôle d’une maison de disques, en fait. À l’approche des journées de studio, je reçois un appel de sa femme, Cynthia. Elle était angoissée et me dit que ça ne va pas le faire, que Calvin n’a pas d’inspiration. Il prenait des médicaments qui le stonait. Alors je m’y colle, je m’enferme pendant une semaine, je me mets dans son personnage, en me demandant : qu’est-ce que Calvin aimerait chanter ? Je lui envoie plein de morceaux, puis, pas de réponses. La panique.
Il n’a pas aimé ?
Je flippais, justement. On était devenus potes, alors c’est dur de dire à un copain que ce qu’il t’a proposé est mauvais. Une semaine après, il m’appelle : « Manu, y’a le feu. J’ai tapissé toute ma chambre de textes. Tu sais quoi ? Tu ne vas pas juste produire l’album, on va le faire ensemble, et tu vas le coécrire ! ». C’était génial. Je l’ai emmené au Maroc pour faire une pré-production : t’imagines un Texan dans la médina de Marrakech (rires) ? Le choc culturel était incroyable, la connexion maximale, et 80 % de ce qu’on a fait là-bas, on l’a gardé, dont toutes ses voix.
Vous aviez un studio ?
On avait transformé la suite du riad en studio. Il sortait de sa chambre, venait enregistrer, « one, two, three takes », bingo, il plantait la chanson. Comme ça. Finger in the nose ! Il me tuait à chaque fois. Et il repartait dans sa chambre. Avec des pétards et tout ça, bien sûr. Cet album-là, on l’a fait comme des indépendants, et puis on a bien évidemment trouvé une maison de disques, car on a voulu le développer. L’album a eu un vrai succès commercial. Ça m’a redonné confiance. Personne ne s’intéressait à ma musique, on pensait que je ne savais pas composer et pas écrire, donc j’étais plein de doutes, tu vois. Malheureusement, Calvin est décédé peu de temps après (en avril 2011, ndlr). On a fait une tournée, mais on a dû l’arrêter, parce qu’il avait quelques soucis de santé, puis il est parti. Mais juste avant, il m’avait dit : « Voilà, Manu, tu la connais, la route. L’album qu’on a fait ensemble, ce n’est pas plus le mien que le tien. Donc, continue ». J’ai constitué le Devil Blues peu de temps après.
Juste après, tu joues au Montreux Jazz Festival avec les Devil Blues ?
Eh bien, au départ on galérait juste à trouver des concerts. On filait notre premier album (Mauvais Casting, sorti en 2012, ndlr) à tout le monde, mais personne ne prenait le temps de l’écouter. Jusqu’à ce que Claude Nobs me repère lors du tournage d’un film, pour un réal’ Suisse, où j’avais un morceau à interpréter. Il me propose de venir jouer sur la scène ouverte et gratuite de son festival. À la fin du concert, Claude, vêtu de blanc, vient me voir et me demande si ça me dérange de jouer à son after party, au Claude Nobs Lounge. J’y ai jammé jusqu’à 6 heures du mat’ ! Quincy Jones était présent, il a voulu me parler : « You’re not French », qu’il m’a répété pendant dix minutes, en boucle ! Il m’a invité à jouer pour la Jazz Foundation Of America, qui lève des fonds pour tous les jazzeux lésés et dépossédés de leurs droits. J’ai joué à l’Apollo Theatre, à Harlem, avec Steve Jordan à la batterie. Après ça, le Devil Blues était bouclé de partout. Ce n’était pas gagné, on est parti de rien, on jouait partout où c’était possible, des campings, des camps naturistes… Si vous montez un groupe avec vos potes, taillez la route et jouez partout ! Cela vous rend invincible.
Le 16 octobre va être diffusé sur Culturebox un concert au Havre de la tournée « On the road again ! » de Gérard Lanvin sur laquelle tu es directeur d’orchestre. Est-ce qu’une tournée sex, drug & rock’n’roll est possible en bossant avec son père ?
Oh, ça va, il en a vu… Il vient des 60’s, tu sais, et les soixante-huitards ont fait pire que nous ! Mais c’est vrai que je me tiens plus à carreau lorsqu’il est là, c’est normal, non ? (rires)
« AVEC L’OLYMPIA, L’IDÉE C’EST DE RÉUNIR LA FAMILLE HARLEY ! »
Pour les 120 ans de Harley, tu t’occupes de la DA du concert anniversaire à l’Olympia, le 6 novembre.
Stéphane Sahakian, qui a monté toutes les grandes manifestations Harley, comme Morzine (qui rassemble des dizaines de milliers de personnes), m’a appelé. Il voulait marquer le coup, comme les États-Unis et l’Europe de l’Est l’ont fait, et faire une grande fête. On a donc monté un backing band, avec les artistes dont je reconnais la fibre. Il y aura Axel Bauer, Haylen, Little Bob, Fred Chapellier, Johnny Gallagher, Norbert Nono Krief… David (Hallyday, ndlr) sera à la batterie, et plein d’autres artistes. L’idée était de réunir la famille Harley, parce qu’elle existe. Elle est composée de fans, de musiciens et d’artistes. On n’aura que deux heures pour s’exprimer, alors on n’a pas pu inviter tout le monde, mais il y aura de la diversité, du kiff et du mouvement sur scène.
Les morceaux que vous comptez jouer ?
L’idée était bien évidemment de faire des morceaux que les bikers et les harleyistes connaissent, donc il y aura des incontournables. Mais je ne voulais ni d’un karaoké, ni que les artistes viennent pour faire leur promo individuelle.
Ce sera donc un big band avec de l’impro et des artistes se succédant sur scène ?
Exactement, et qui se retrouvent parfois ensemble aussi. Avec des guitaristes virtuoses comme Fred Chapellier, ou, même, Axel Bauer – les gens ne savent pas que c’est un monstre à la guitare, il a une voix incroyable, certes, mais, là, j’ai très envie de jouer du Hendrix avec lui, parce que je sais qu’il sera dans son élément – l’idée c’est de s’amuser. Il y a également des titres du répertoire de certains de mes invités que j’aime beaucoup. J’ai demandé à Axel qu’on fasse ensemble « Éteins la lumière » – il était ok, donc go ! On a déjà commencé à répéter avec le backing band et on aura deux jours avant l’Olympia, avec les invités, pour répéter tous ensemble.
Fêter les 120 ans de Harley, c’est célébrer l’esprit américain. Qu’est-ce qu’il signifie pour toi, hormis Steppenwolf et Easy Rider ?
C’est très mitigé, parce que dès que tu sors du mythe, tu te rends compte que tu n’aimes pas tout chez les Américains, alors j’essaye de garder les choses qui m’ont animé tout gosse. On célèbre les 120 ans de la marque. Tu vois, les mecs qui roulent en Harley, en Europe, je les connais, car ils viennent à mes concerts. Donc, ces 120 ans-là, pour moi, ce sont ceux des harleyistes européens. Je sais que je vais retrouver des bikers que je connais, qui aiment la musique qu’on leur propose, que je croise aux rassemblements et dans des concerts de blues et de rock. Pour moi, cet anniversaire, il a ce goût-là.
Est-ce que tu trouves que le public harleyiste et celui du blues se renouvellent ?
Je vois ça, ouais. Une manière vestimentaire différente des mecs à l’ancienne, qui avaient les perfectos. Ils ont un autre look et je trouve ça vachement bien, un style plus californien, pantalons larges et baskets. J’adore comment ils se sont appropriés la bécane, comment ils l’ont pensée pour rider en se dissociant un peu de l’ancienne génération.
Est-ce que tu es un collectionneur d’équipements Harley ?
Ça revient grave, ça. Je me suis baladé dans les boutiques vintage, le look Harley est hyper présent dans les friperies. Les vieux t-shirts se vendent à 250 euros, c’est dingue. J’ai quelques pièces, mais je ne collectionne pas.
« LA HARLEY, C’EST UN PASSEPORT POUR T’ÉCHAPPER ! »
Ta définition de Harley ?
C’est un… comment dire ? C’est un passeport pour t’échapper. Pour la fuite. Pour la quête de la liberté. Il y a ça dans le deux-roues. Mais avec Harley, je trouve que ça le porte encore plus. Parce que c’est une moto qui inspire aussi le voyage. Tu sais que tu peux rider très longtemps avec ce genre de moto. C’est très confortable. Tu peux rêver, rouler, laisser aller ton imagination. Pour moi, c’est la bécane de celui qui cherche à se barrer, très loin.
www.manulanvin.com
www.harley-davidson.com
Entretien Alexis Lacourte
Photos Davide Carson