Les « masseuses plus » si chères à Houellebecq période Plateforme pullulent dans les grandes villes de France. Jouissant hier d’une clientèle exclusivement masculine, elles dispenseraient aujourd’hui leurs services à un nombre grandissant de femmes rêvant de full body massage. Une enquête les doigts dans l’huile.
« Là-bas, c’est un salon de massage à putes. » Qui n’a jamais entendu cette affirmation un poil péremptoire ponctuer un apéro en terrasse, lancée par une connaissance s’apitoyant sur les conditions de travail de « ces pauvres filles » avant de passer à d’autres sujets d’indignation consensuels ? Parfaitement intégrés à la jungle urbaine, les salons de massages érotiques n’étonnent plus personne. A Paris, on estime à 575 ces salons aux devantures opaques et aux activités licencieuses : leur nombre aurait triplé en une décennie. Mi-tripot mi-spa, ces lieux fantasmés proposent des massages non cautionnés par votre kiné et votre mère – et, moyennant quelques billets, vous pourrez y demander un happy ending en bonne et due forme. En concurrence directe avec les masseurs indépendants professionnels spécialisés dans la chose, ils sont des dizaines, à Paris, à proposer massages tantriques, érotiques, naturistes, finissant bien souvent en parties de jambes en l’air tarifées.
Enzo, père de famille et masseur parisien spécialisé dans les finitions manuelles, peste contre cette concurrence bon marché. « Avant, on se faisait 300, 400 euros de l’heure, on était les rois du pétrole. Tout y passait : de la bourgeoise quinqua des beaux quartiers au couple candauliste sous coke en passant par la business woman qui venait décompresser ni vue ni connue. En dix ans, la clientèle a baissé de moitié. Tout ça pour aller dans des salons miteux tenus par des mafias dégueulasses… Franchement, ça me file la gerbe. »
« TÉTON EN BONUS »
Certains sites internet, véritables Tripadvisor du sexe tarifé, décrivent avec force détails les caractéristiques des salons de massages et de leurs « cerises » – métaphore végétale décrivant les prestations sexuelles annexes. Ici, les termes sont crus, techniques et précis, et l’on parle de pipes et de branlettes comme on commenterait une recette de bouillabaisse sur Marmiton. « Je suis passé aujourd’hui massage moyen blowjob top top elle lèche bien, C cool », explique un habitué au style limpide. Plus loin, un autre fait une revue complète d’un salon : « Chinoise d’environ 35 ans, beau corps mince, visage moyen. 30 roro demandé pour la cerise, négocié à la baisse comme souvent. Léchage de l’oreille + téton en bonus. Après ce festival elle finit par un massage des pieds top. Elle parle très très mal le français. Le salon est super discret et ça c’est top ! Faut que j’y retourne en semaine pour voir l’autre masseuse. » « Salon testé lundi soir ! Je confirme… Masseuse douée et douce ! Massage thaï bien fait et feu d’artifice bien amené !! G pu touché qqs zones très humides !! », complète un certain Data. D’autres internautes, moins élogieux, s’estiment trompés sur la marchandise et conspuent les masseuses pour deux kilos en trop, une pipe avec les dents, un manque d’entrain.
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Grande nouveauté : les hommes ne sont pas les seuls à fréquenter ces salons. De nombreuses femmes ont recours aux doigts licencieux des masseuses sino-parisiennes. Nathalie* est l’une d’elles : fraîchement diplômée d’une école d’ingénieurs, à Paris, c’est au cours d’un voyage en Asie qu’elle a découvert pour la première fois le happy ending, à l’issue d’un massage près d’une plage fréquentée par une horde de touristes européens en mal de chair exotique. « En Thaïlande, sur certaines îles, les gens ne viennent que pour ça, raconte-t-elle d’un air mi-gouailleur, mi-désabusé. Je me faisais masser dans un salon, mon mec était dans une autre pièce – on nous a proposé des finitions en échange d’un petit supplément. Pourquoi refuser ? C’est une expérience de voyage comme une autre, et c’était le prix d’un cocktail à Paris. Les finitions en question, faites avec beaucoup de professionnalisme et de dextérité, nous ont laissé un superbe souvenir », explique-t-elle comme si elle passait en revue les services de quelque chauffeur de rickshaw. « Une fois rentrés en France, on s’est dit “Pourquoi ne pas recommencer ?”, et on est allés dans un salon rue de Rome pour un body-body à deux : c’est un petit extra sympathique dans notre vie de couple. Comme mon ami travaille dans une autre ville, il m’arrive de retourner au salon, seule cette fois. C’est une manière de conserver une vie sexuelle sans vraiment tromper l’autre. » Quand je lui demande si elle n’a pas l’impression de faire le jeu de proxénètes et de mafias, elle fronce les sourcils : « Du proxénétisme ? Je ne pense pas. Ce qui se passe entre toi et la fille échappe au contrôle de la tenancière du salon : elle est libre de refuser, tout comme tu es libre de t’en tenir à un massage en bonne et due forme. » Il semble pourtant difficile de croire au libre arbitre de ces filles venues de Chine en croyant à une vie meilleure, enchaînant aujourd’hui les clients pour payer les dettes – souvent colossales – contractées auprès de leurs passeurs.
Dans le quartier Matabiau, à Toulouse, où déambulent la nuit Africaines, Asiatiques et filles de l’Est, les devantures de ces salons de massage se font discrètes au milieu d’échoppes vendant des produits exotiques ou des vêtements de seconde main. C’est en face de l’un d’eux que je retrouve Marie, chef de projet aux ongles bleu électrique et à la langue bien pendue. Pour cette trentenaire, une visite dans un salon est un acte féministe : « Quand je me fais masser dans des salons chinois et que je paie pour me faire doigter, je vais aux putes et j’en ai bien conscience. Pour moi, c’est presque un acte militant : comme un homme, je suis sujette à des pulsions, je n’ai pas toujours de quoi les assumer, donc je paie pour ça. Que ce soit dans un salon, dans la rue, dans un appart léché du XVIe, c’est toujours la même démarche, au fond : un échange de services entre adultes consentants. On peut dire que l’argent que je donne à ces filles contribue à rendre leur vie meilleure. » En réglant l’addition de son virgin mojito, elle me conseille de suivre sa voie, en me promettant une « révélation ».
DANS LA CABINE ADJACENTE, UN RÂLE
Quelques jours plus tard, me voilà dans le XVe arrondissement de Paris. C’est une rue qui ressemble à cent autres, peuplée de passants emmitouflés dans des doudounes synthétiques, de cadres dynamiques pressés, de mômes insupportables, de lycéens avides de refaire le monde autour d’un mauvais moka. Tout ce petit monde passe et repasse devant la devanture du salon de massage érotique sans le remarquer : avec ses rideaux opaques et sa petite enseigne, l’endroit se fait discret. En poussant la porte aux vitres opaques, j’entre au royaume du kitsch et du mauvais goût : lumières tamisées violettes, banc en velours à motifs zébré, chats dorés dodelinant de la patte en cadence et poufs en simili-cuir. Ici, si les femmes sont rares, elles ne sont pas absentes : une tenancière de salon estime qu’un client sur dix est une cliente, et nul ne s’étonne de ma présence en ces lieux. On me tend une carte qui, par sa longueur et sa variété, m’évoque quelque restaurant chinois : mais en lieu et place de nems et autres rouleaux de printemps s’étire une longue liste de prestations aux noms équivoques : massage body-body, massage naturiste, massage chinois sexy, à quatre mains, allant d’une demi-heure à deux heures et tarifés entre 80 et 150 euros. J’opte pour un massage chinois d’une heure, coûtant un dixième de smic. « Payer maintenant, en liquide. » Inutile de prier pour une facture en bonne et due forme – Liu, la vingtaine moulée dans une micro-robe en skaï, m’entraîne dans l’escalier qui mène au sous-sol.
Un étage et quelques secondes plus tard, nous voilà dans un couloir hérissé de néons qui ferait passer une chambre d’hôpital pour un temple de l’érotisme : l’endroit sent le parfum d’intérieur bon marché et le moisi. Liu ouvre une porte et m’intime l’ordre de me déshabiller. Me voilà seule dans une cabine d’environ 4 m2 : de grands miroirs recouvrent les murs, un matelas posé sur un tapis fait office de table de massage et un paquet de mouchoirs traînant au sol rappelle la fonction première du lieu. J’ai à peine le temps d’ôter mes frusques que revient Liu, armée d’un flacon d’huile de massage jaunâtre. Elle m’indique le futon, enlève d’autorité mes sous-vêtements et commence un massage énergique et loin d’être déplaisant. Je contemple les tâches d’humidité du plafond en me concentrant sur la musique dégoulinant des hauts parleurs – un étrange remix japonisant des musiques de Gladiator et Titanic, qui n’est toutefois pas diffusé assez fort pour faire mystère de ce qui se passe dans les cabines adjacentes.
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Alors que Liu me masse le bas du dos, j’entends une masseuse proposer un happy ending à mon voisin de cabine. « Pas cher, très bon », assure-t-elle. « Vous faites les massages prostatiques ? » « 50 euros. » « Je vous donne 20. » « 20 pour happy ending normal, 30 pour happy ending avec massage prostate. » Liu fait mine de tousser pour que je n’entende pas la suite du marchandage. Sa robe minuscule ne cache rien de son anatomie, et je vois le reflet de ses fesses pâles et nues danser dans les grands miroirs alors que ses mains palpent mes lombaires.
« Happy ending ? » propose-t-elle avec un grand sourire en désignant une partie privée de mon anatomie. Je refuse d’une manière que j’espère diplomatique. Liu, la mine renfrognée, continue son massage avec moins d’entrain. Dans la cabine adjacente, un râle – monsieur massage prostatique en a eu pour son argent. Quelques minutes plus tard, un réveil strident sonne la fin du massage : je file sans demander mon reste en gardant de mon passage en cabine un diffus sentiment de malaise et une persistante odeur d’huile de massage. Assise sur le banc qui jouxte la caisse, Liu, moulée dans sa robe en skaï, attend son prochain client. Le regard dans le vague, elle semble être à mille lieues du salon sordide dans lequel elle travaille une cinquantaine d’heures par semaine – peut-être rêve-t-elle d’une vie meilleure.
*Tous les prénoms ont été modifiés (sauf le mien)
ANNE-SOPHIE FAIVRE LE CADRE