Dans Mon Mari, Maud Ventura transforme la chick lit en thriller et cartographie la passion d’une femme un peu trop amoureuse. Inventant au passage le féminisme par l’absurde.
« J’aime mon mari comme au premier jour, d’un amour adolescent et anachronique. » Desesperate Housewife des banlieues huppées, le personnage principal du livre de Maud Ventura souffre d’une forme de surinvestissement dans son couple. « Mon amour pour lui n’a pas suivi le cours naturel des choses : la passion des débuts ne s’est jamais transformée en un doux attachement. » Elle passe ses journées à échafauder des stratégies pour lui plaire et se désole du moindre signe de désintérêt de sa part. Comme lorsqu’il lâche sa main alors qu’ils regardent la télé… Une suggestion étrange et malaisante qui la rend victime et complice du patriarcat. Tout inquiète dans le tableau idyllique que croit brosser la jeune femme de son couple.
Maud Ventura, l’auteure de ce premier roman addictif, est aux antipodes de son héroïne. Brune et pas blonde, 28 ans et non 40, c’est une journaliste survoltée et surdiplômée (Normal sup, HEC) qui explique la genèse de son projet frappadingue d’un ton gai et énergique ponctué de « en mode » et de « ouais » qui signent son âge. « J’ai des copines qui font des collages féministes et qui peuvent perdre des heures à analyser le texto d’un mec et à réfléchir à la réponse. On retombe très vite dans des schémas, des idées préconçues sur le couple, comme si on était encore dans les années 1950. »
BOURDIEU, BALZAC & FAIS PAS CI, FAIS PAS ÇA
C’est pourquoi elle a choisi de situer son récit dans une bourgeoisie aussi classique que pavillonnaire. « Quand j’ai débarqué en khâgne à Fénelon depuis Vitry, ou lorsque j’ai rencontré les gens de ma maison d’édition, j’ai eu l’impression qu’il suffisait de partager le même bagage culturel, d’avoir lu les bons livres pour se comprendre. Alors que j’étais plus mal à l’aise chez mes camarades d’HEC issus d’une certaine bourgeoisie. Comme si l’on me faisait comprendre qu’on n’achète pas les bonnes manières. D’où une certaine fascination, je le reconnais. » On n’échappe pas à Bourdieu, Balzac… Ou Fais pas ci, fais pas ça, une référence qu’elle endosse volontiers dans un éclat de rire. « J’ai passé plein de coups de fil absurdes pour connaître le prix d’un plateau chez un bon fromager, d’une nounou… » Précis, documenté, mais toujours fluide, Mon Mari est le roman d’une bosseuse.
Et Maud Ventura le démontre dans son métier. Après un stage chez P.O.L., l’éditeur le plus rive gauche de la Rive Gauche, elle a débuté à la radio auprès d’Augustin Trapenard sur France Inter, dérivé vers les podcasts de Radio France puis de Louie, la prod’ hype et féministe de Charlotte Pudlowski. Aujourd’hui elle coordonne ceux du groupe NRG. Virage mainstream ? « Mes livres et mes films préférés son accessibles. Étudiante, j’aimais donner des cours particuliers, transmettre. Aujourd’hui, je fabrique des contenus grand public et intelligents… Ce n’est pas ce parce que quelque chose se vend bien que c’est nul. » Une logique qui s’applique également à son livre, déjà réimprimé trois fois pour parvenir à 50 000 exemplaires. « Quand, lors d’une signature en librairie, une femme qui lit habituellement un Marc Lévy par an me dit qu’elle a aimé mon livre, c’est un immense compliment », affirme-elle avec conviction. À moins que, comme son héroïne, Maud Ventura ne soit une grande manipulatrice…
Mon Mari
Maud Ventura
(L’Iconoclaste, 351 pages, 19 €)
Par Jacques Braunstein