« MDMA CHINOISE » UN FIASCO À LA FRANÇAISE

Mdma Technikart

Le 1er septembre, Louis Chassang, un étudiant de 21 ans, meurt d’une intoxication à la MDMA au cours d’une soirée à DehorsBrut, nouveau lieu nocturne parisien. Depuis, c’est la panique : « l’ecsta chinoise » serait en train d’envahir les clubs. Faut-il gober tout ce qu’on vous dit ?

Le 1er septembre, dans la nuit de samedi à dimanche, 3 heures du matin, quatre amis – trois garçons, une fille, tous jeunes vingtenaires – se retrouvent pour faire la fête à DehorsBrut, le nouveau club que la team Concrete vient d’ouvrir sur une friche parisienne de la SNCF à côté de Bercy (Paris 12ème). Le quatuor se procure une dose de MD et la dilue aussitôt dans une bouteille d’eau. Les trois garçons boivent. Après 10 minutes, l’un d’eux, Louis Chassang, perd connaissance. Les deux autres se font immédiatement vomir – geste qui va les sauver. Louis sera déclaré mort après 2 arrêts cardiaques et 5 heures en réanimation à l’hôpital Lariboisière (Paris X). Ce sportif de 95 kg (pour 1,95m), étudiant en deuxième année de droit, n’était « ni toxico, ni alcoolique », explique Martin Chassang, son père (voir notre interview). « Il est juste parti faire la fête un samedi soir avec 3 copains ».

Le mardi suivant, Le Figaro publie le premier articles sur cette mort par « ecstasy surdosé » ou « MDMA chinoise ». Il sera suivi d’une flopée d’autres : Trax Magazine, Le JDD, Slate, Sputnik, Le Parisien, Paris Match, Konbini, TF1, France 2, les Inrocks… Les produits de synthèse seraient-ils, eux aussi, comme de vulgaires fringues de créateurs, victimes du « made in Asia » ? Pas exactement. Le terme « ecstasy chinois » nous vient de chez nos amis anglais, grands gobeurs de produits illicites, et est utilisé pour désigner des produits très forts.

En France, il a été repris, en premier, par le Collectif Action Nuit (CAN), un syndicat de professionnels des lieux de fêtes. Son porte-parole Christophe Vix-Gras, activiste electro-LGB-TQI, explique : « C’est pas un sujet qui excite les foules, mais les médias généralistes s’en emparent toujours avec catastrophisme. Quand le ministre de l’Intérieur présente son plan anti-stup’, il s’en prend à un trafic urbain mais ignore que la plupart des consommateurs commandent sur Internet. Et dans son discours à Marseille, à aucun moment il ne parle de santé publique. »

Après l’emballement médiatique, la descente. « Parler de « surdose » pour l’ecstasy, c’est trompeur, c’est plutôt vrai pour les opioïdes, nuance Alexandre Kauffmann, auteur de Surdose, une enquête sur la brigade des stup’ parisienne spécialisée dans les overdoses, et plus récemment Le Troisième indic (éditions Goutte d’Or, 2018 et Flammarion, 2019). L’ecstasy est un psychostimulant : chez certaines personnes, il ne faut pas en prendre beaucoup pour mal finir. »

LABOS CLANDESTINS

« Les MD chinois et surdosés, ça n’existe pas, c’est une idée fausse véhiculée par la presse, affirme une source judiciaire. Le vrai problème, c’est le nombre de jeunes qui tapent. C’est du jamais vu : à Paris, on compte environ 25 overdoses mortelles par an– un chiffre qui sera supérieur cette année. Sur les 25, la MDMA est responsable d’un tiers des morts ; la coke, un tiers ; et les opioïdes, le dernier tiers. » Une autre source, de la direction centrale de la police judiciaire (OCTRIS) cette fois-ci, évoque même de nouveaux records : « Le bilan réalisé par l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) montre qu’en 2018, les saisies de MDMA/ecstasy ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 14 ans – plus de 1,7 million de comprimés ont été saisis. » Et nous viendraient-ils de l’Empire du Milieu ? « Ah, non ! Les saisies proviennent principalement des Pays-Bas, de l’Europe du Nord… Sans compter tout ce qui se fabrique désormais dans des labos clandestins un peu partout en France. Tous les ingrédients sont disponibles sur Internet, donc ce n’est pas très difficile de se lancer… Mais ces trafics tirent surtout leur dynamisme du manque de prévention. Ces drames montrent la nécessité de passer des messages clairs. »

« LA SITUATION EST DÉPLORABLE. PAS DE SYSTÈME D’ALERTE, PAS DE CAMPAGNE DE PRÉVENTION… » – CHRISTOPHE VIX-GRAS

mdma chinoise
PRESSE QUI GOBE_
Une mort, une rumeur de «made in China» et des douzaines d’articles…

Dans notre entourage, les récits de mauvaises expériences s’enchaînent. Mickaël, un ancien consommateur régulier (trois prises par mois pendant une dizaine d’années), revient sur la fois de trop, survenue en fin d’année dernière : « on est dans un club à Pigalle avec Laura, une amie, qui m’invite à partager sa « champagne » (une qualité de MD claire, réputée pour sa redescente moins violente, ndlr). Un produit puissant, avec des montées de dingue, je suis bouillant. Vers six heures, on va chez elle. Plusieurs heures plus tard, il fait presque nuit, j’émerge en nage. Désagréable sueur froide en sortant de la couette, complètement comateux. Mon amie me fout dehors. Je rentre chez moi, l’impression que les gens dans la rue me fixent, parano. Pupilles énormes et mâchoire qui claque, je suis mal. Impossible de bouger, l’impression d’être vide. La descente de la MD est violente, mais là c’est interminable et beaucoup plus désagréable. Je reste « perché complet » pendant 3 jours. Depuis, j’ai tout arrêté mais j’ai des remontées régulières, des palpitations dans les yeux, des frissons façon décharges électriques. J’ai jamais compris ce que j’avais pris, exactement. »

Des faux ecstasys circulent depuis plusieurs années, comme le N-Ethylnorpentylone (Ephynol), avec des effets proche de la MDMA au début, mais dont la redescente est beaucoup plus violente, voire mortelle. Aujourd’hui, ils sont classés dans les Nouveaux Produits de Synthèse (NPS). « Selon le rapport d’évaluation critique sur l’Ephylone, de novembre 2018 WHO – Organisation mondiale de la Santé (OMS) – cette substance aurait provoqué 125 décès aux États-Unis. » En France, cette « cathinone présente sur le marché depuis au moins 2016, n’ayant créé que très peu voire aucun engouement chez les usagers et vendue le plus souvent (en ligne ou dans la réalité) comme étant un autre produit. » – (une arnaque, ndlr.) Le communiqué de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) du 4 septembre fait état de 17 produits analysés qui contiennent de l’Ephylone depuis 2017, dont 2 faux ecstasys : « l’Ephylone n’a pas connu de diffusion établie en tant que produit de substitution à la MDMA. La majorité des faits concernaient un groupe plus spécifique de consommateurs (ceux utilisant des NPS) que les consommateurs de l’espace festif. »

Dans ce very bad trip qui dure depuis plusieurs mois maintenant, les professionnels de la nuit reprochent l’absence de prévention aux autorités et des médias racoleurs qui ne traitent pas le fond du sujet. Avec la palanquée d’articles parue sur le sujet ces dernières semaines, le message sur les dangers de l’ecstasy est passé. Reste à savoir s’il sera entendu…

 

Par Julio Remila
Photos Amandine Tournier

 

« LOUIS ÉTAIT UN AVENTURIER… »

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Louis, 21 ans, est mort suite à une prise de MDMA le 1 septembre dernier. Son père, le docteur urgentiste Martin Chassang, se bat aujourd’hui pour sensibiliser les jeunes aux dangers de cette drogue.

Tout d’abord, merci d’avoir accepté notre demande d’interview.
Martin Chassang : J’ai accepté pour faire circuler une information importante, et peut-être sauver d’autres Louis.

Pouvez-vous nous parler de lui ?
Louis avait 21 ans, il allait entrer en 2ème année de droit. C’était un sportif, curieux. Il a fait du kung-fu, du water polo, du ski, il aimait les sports d’équipe, de contact, l’année dernière il faisait du foot. Il était curieux de tout et était très investi dans ce qu’il entreprenait. C’était aussi un aventurier, un explorateur, goûtant la vie, la croquant par les deux bouts, se sentant invincible du haut de son mètre quatre-vingt-quinze. Il était capable de sauter d’un pont et d’effectuer deux sauts périlleux pour vivre des sensations. Il était aussi capable de se dénoncer pour les autres : quand il avait une dizaine d’années, ses copains s’étaient faits prendre à l’école en train de faire les yamakasis alors qu’elle était fermée, il s’était dénoncé pour eux parce que c’étaient ses copains. Il avait beaucoup de coeur. À 21 ans, il était plein de vie. C’était l’aîné, le grand frère complice, avec un frère âgé de 18 ans, Elliot.

Il avait déjà été confronté aux drogues ?
Pas à ma connaissance. J’ai découvert qu’il en était à sa septième ou huitième prise d’ecstasy. C’était occasionnel pendant des soirées techno, une fois par mois environ. Le premier contact remonte à fin 2018 ou début 2019. Je ne l’ai pas vu venir, étant médecin, ça me fait d’autant plus culpabiliser. Ça n’aurait peut-être rien changé mais si j’avais su, j’aurais abordé le sujet avec lui.

Vous n’aviez pas remarqué de changements chez lui ?
Louis avait un comportement sociable et normal. Il ne prenait pas de drogue pour dépasser une introversion. Ses prises étaient occasionnelles et pendant des fêtes. Je n’avais pas de raison de voir un changement de comportement.

Pouvez-vous revenir sur cette soirée du 1er septembre ?
Il était parti faire la fête vers deux heures du matin, après un repas à la maison avec une copine et deux copains. Louis n’était pas dans un contexte d’intoxication alcoolique, les analyses ont donné 0,7g d’alcool par litre dans le sang. Arrivés à DehorsBrut, ils ont souhaité acheter un cachet d’ecstasy à partager. Ils ont très vite trouvé un dealeur mais n’ayant pas d’espèces, ils lui ont demandé s’il acceptait un virement Lydia. Quand ils ont trouvé une solution pour payer, le dealeur n’avait plus de comprimé, il ne restait plus qu’un sachet de poudre : « tu verras, tu devrais être content avec ça, moi j’ai plus rien j’ai fait ma journée ». Louis a partagé la dose : un quart du sachet à un des copains qui l’a mis dans sa bouteille d’eau. Louis a mis ce qu’il restait dans sa bouteille et en a bu la moitié, le reste était pour l’autre copain, qui l’a bu aussi. Dix ou quinze minutes après, il s’est effondré sur la piste de danse. Ses copains l’ont porté aux secouristes, il a fait ses premières convulsions puis un arrêt cardiaque ; il est mort vers 11 heures du matin dans le service de réanimation de l’hôpital Lariboisière à Paris. Selon le rapport toxicologique, son sang ne contenait que de la MDMA, mais à des taux extraterrestres. Habituellement, une dose donne entre 300 et 500 unités dans le sang pour un individu de 60 à 80 kilos. Il était à 3 000 unités, soit huit fois le taux attendu, sachant qu’il n’avait bu que 40% de la dose initiale.

En tant que médecin urgentiste, vous avez déjà eu des patients sous MDMA ?
Oui, j’ai pu constater l’augmentation du nombre d’arrêts cardiaques par intoxication à la MDMA ces dernières années. Aujourd’hui, n’importe quel jeune peut mourir dès la première prise d’ecstasy.

 

ENTRETIEN Julio Remila