MY EDITOR IS ENGLISH : LES YEUX DE L’AMOUR ?

redacteurs en chef chic mode

Loin des codes new-yorkais et parisiens, les meilleurs rédac’ chef viennent toujours d’ailleurs. Et offrent ainsi un bienvenu regard d’outsiders sur leur ville d’adoption. Explications. 

« La Renaissance du Chic », c’est ce qu’a titré la nouvelle rédac chef du Vogue France, Claire Thomson-Jonville (photo ci-contre, ndlr), à son arrivée à la tête du magazine en janvier 2025. Ancienne rédactrice en chef du magazine Self Service, Claire, née en Écosse a été missionnée par Anna Wintour et Roger Lynch (PDG de Condé Nast) pour redéfinir les contours du magazine. La presse de luxe gagne-t-elle ses galons quand un regard étranger s’invite aux réunions de rédac’ ? On feuillette. 

UNE IRONIE DÉTACHÉE

Graydon Carter, né à Toronto, évoque, dans ses mémoires When the Going Was Good (2025), ses premières années à New York. Lorsqu’il cofonde le culte Spy en 1986, son statut d’outsider lui permet d’analyser la culture américaine avec une ironie détachée. Un ton qu’il a utilisé comme ligne directrice depuis, d’abord pour moquer les excès et les mœurs de l’establishment new-yorkais dans Spy, puis lorsqu’il réinvente Vanity Fair (il en est le rédacteur en chef de 1992 à 2017). Sous son règne, le titre devient une chronique glamour, mais incisive, du pouvoir. Il finira par rendre VF essentiel, aussi bien pour les décisionnaires de Hollywood que ceux de Washington.

Avant lui, celle qui l’a précédée, l’Anglaise Tina Brown, avait apporté une touche singulière et british au Vanity Fair des années 1980 et au New Yorker des années 1990. Son journal intime de l’époque, The Vanity Fair Diaries (2017), témoigne de son modus operandi : mixer sa culture bourgeoise avec l’énergie des tabloïds anglais. Au New Yorker, Tina Brown a secoué cette institution en introduisant des sujets plus accessibles et des plumes plus percutantes, tout en conservant une rigueur intellectuelle. Quant à Vanity Fair, sous l’égide de Graydon Carter, le titre passe d’une diffusion de 265 000 à 1 million d’exemplaires. Et sa Powerlist annuelle ainsi que son Oscar Party deviennent incontournables.

Une autre intello British débarquée aux US, à la fin des années 1980, n’est autre qu’Anna Wintour. Sa biographe Amy Odell note combien sa carrière précoce dans des magazines britanniques, comme Harpers & Queen et Biba à Londres, lui a donné l’assurance requise pour transformer Vogue en mastodonte mode. Des qualités qui la distinguaient de sa prédécesseure Diana Vreeland, une New-Yorkaise pur jus, au style plus théâtral. Une théorie approuvée par le journaliste Bryan Burrough, dans sa critique du livre de son ancien boss Graydon Carter parue dans The Yale Review (pour info, Carter avait filé un forfait de 160 000 $ par article de 10 000 mots ; Burrough en rendait trois par an). L’absence d’un New-Yorkais parmi ce trio magique Brown-Carter-Wintour rappelle combien les rédac’ chef étrangers peuvent insuffler une vitalité et une identité fortes aux titres dont ils ont la charge.

EMILY IN PARIS VERSION PAPIER

Le schéma inverse existe aussi. Joan Juliet Buck, née à Los Angeles, a été la première rédactrice en chef américaine du Vogue Paris (1994 à 2001). Elle a modernisé le titre en rompant avec la tradition très codifiée du Vogue français. Contrairement à ses prédécesseurs, qui privilégiaient une esthétique sophistiquée et un respect dévot pour la haute couture, Buck a lancé des numéros aux thématiques novatrices, fusionnant mode, art et réflexions sociétales. Les Françaises aussi ont leur mot à dire. La Parisienne Françoise Mouly, DA du New Yorker depuis 1993, y a importé son amour pour la bande dessinée, art vénéré en France. Son œil frenchy a su renouveller les couves du mag’.

Et si, au fond, la presse de luxe n’était qu’une grande partie de Emily in Paris version papier ? Des étrangers qui débarquent, valise pleine de clichés sublimés, pour secouer des institutions un peu jetlaguées.

 

Par Anaïs Dubois