Séisme dans le monde feutré de la musique classique ! Le businessman jet-setteur Omar Harfouch se réinvente en compositeur militant pour la paix… Explications.
Il y a foule, ce mercredi 18 octobre, avenue Montaigne (Paris 8e), à l’entrée du Théâtre des Champs-Élysées. Catherine Deneuve se dirige prestement vers le photocall, Kev Adams et Laetitia Casta lui font une place, Orlinski attend son tour en soupesant sa nouvelle babiole (un de ses animaux fétiches serti d’une crinière de diamants), Vladimir Cosma livre quelque conseil musical à Stomy Bugsy… Nous sommes tous invités de Omar Harfouch, homme d’affaires ayant fait fortune dans l’Ukraine des années 1990. Ce soir, il est bien décidé à faire découvrir son « Concerto pour la Paix » à 1700 happy-few. À 20 heures tapantes, la musique commence. Omar est au piano, accompagné de l’Orchestre de la ville de Béziers pour un ensemble de compositions aux envolées orientales et aux motifs lancinants, dignes d’un remake 50’s hollywoodien des 1001 Nuits… Nous le retrouvons le lendemain de ses débuts sur une scène parisienne.
Le soir du « Concerto pour la Paix », tous les musiciens portaient des Ray-Ban – vous êtes fan du film Blues Brothers ?
Omar Harfouch : Ah ah, non ! Les lunettes, c’était ma touche personnelle, pour qu’on se sente tous au soleil. J’en porte toujours parce que j’ai des irritations aux yeux, je ne supporte pas la lumière. Alors je me suis dit : et si on mettait tous des lunettes de soleil !
Une série d’articles a été publiée avant le concerto. Aucun des journalistes ou commentateurs ne se doutaient que vous alliez jouer, pendant plus d’une heure, vos propres compositions…
Absolument. Ils pensaient que si je faisais de la musique, ce devait être en amateur. Ils ont été très surpris de découvrir que le Concerto est complexe, que la « Fantaisie orientale » est très difficile avec ses soli de violon… Quant à ce que nous jouions à la trompette, avec ses quarts de ton subtils – des sonorités plus orientales qu’européennes –, cela a dû en surprendre plus d’un.
De fait, faire jouer de la musique orientale à un orchestre européen est un défi…
Oui, je ne voulais pas avoir un orchestre oriental, mais je voulais partager ces sonorités-là avec un public européen. Chaque fragment de la « Fantaisie » contient deux ou trois mélodies qui s’entremêlent, et elles ne se répètent jamais.
La « Fantaisie orientale » a été conçue pour mettre différents instruments à l’honneur.
Oui, la première partie mettait en exergue le violon et la trompette. La deuxième, le piano. Et la troisième, le Qanûn, l’ancêtre des pianos. C’est un philosophe andalou qui aurait inventé cet instrument, ancêtre de la guitare et du violon.
Dans les portraits qui vous sont consacrés, votre apprentissage du piano revient souvent. Mais comment avez-vous appris la composition ?
Je suis autodidacte. À Tripoli, ma ville natale au nord du Liban, il n’y avait pas d’école de musique, donc j’ai commencé le piano seul, et je compose à l’oreille depuis tout petit. Ensuite, à 17 ans, j’ai gagné un concours organisé par l’Union Soviétique de Gorbatchev. J’ai été choisi contre des candidats qui avaient une meilleure technique, parce que l’école s’est dit qu’elle aimait ma créativité et qu’elle serait capable de me former. Grâce à ce concours, on m’a donné un visa – difficile à obtenir alors que le Liban était en pleine guerre civile – et un billet d’avion. On m’a envoyé en Ukraine, a Dnipropetrovsk (la Dnipro actuelle, ndlr), où j’ai suivi mes études. C’était juste avant que l’Union Soviétique ne se disloque. Tous les étrangers sont partis ; je suis resté.
Vous êtes alors jeune vingtenaire, et vous vous lancez dans les affaires.
Oui, en 1994 j’y crée Supernova, la première radio FM de l’histoire de l’Ukraine, et à 25 ans, j’étais millionnaire.
Mais… comment devient-on millionnaire dans les médias ?!
Eh bien, quand j’ai demandé à Leonid Koutchma (président de l’Ukraine dans les années 1990, ndlr) la bande FM en 1994, il ne comprenait pas bien pourquoi ; à l’époque, c’était la radio AM qui comptait. Donc on m’a confié toutes les fréquences FM ! Ensuite, chaque fois que quelqu’un voulait acheter une fréquence FM, il le faisait auprès de moi. C’est comme ça qu’on est devenu millionnaires avec mon frère. Enfin, mon premier million, c’était grâce à Voice of America (la radio internationale du gouvernement américain, ndlr).
Vous reprenez la musique au début des années 2000.
Oui, je compose pour des chanteurs ukrainiens, au moment où le pays commençait à avoir ses propres stars. À cette époque, j’étais un peu fou, je suis tombé amoureux d’une fille, je lui ai composé plein de morceaux, on a fait des clips ensemble. Il y avait aussi du n’importe quoi dans ce que je créais.
Vous étiez un compositeur pop ?
Même dans ces chansons ukrainiennes, il y avait des mélodies orientales. Cela donnait un timbre à mes musiques, et cela avait un sens, car l’Ukraine a une histoire turque. Cette proximité historique, mélangée à l’ADN ukrainien, s’est naturellemet retrouvée dans mes chansons.
En parallèle, vous êtes resté businessman…
Oui, mais à l’époque, je disais qu’à 35 ans, j’arrêterai tout, et que je ne ferai que de la musique, car j’avais déjà gagné assez d’argent.
Pourquoi avoir changé d’avis ?
Il y a eu la crise des subprimes à New York en 2008. Et la révolution en Ukraine, suivie d’une deuxième, puis du putsch… Et à chaque fois, il fallait tout recommencer. J’espère toujours prendre ma retraite, mais j’attends le bon moment. Encore récemment, je voulais me réveiller après le Concerto, et faire une déclaration comme quoi j’arrêtais le business…
Et ?
Je sens bien – sans prétendre être un grand économiste – qu’une grande crise peut nous tomber dessus. Alors je me dis qu’il est encore trop tôt pour me consacrer uniquement à la musique, que je dois continuer à agrandir le groupe.
Omar Harfouch, compositeur à plein temps, ce n’est pas pour tout de suite ?
Hélas, non ! Mais je vais continuer à composer et orchestrer avec les grands talents du monde de la musique. Pour la « Fantaisie Orientale », l’arrangeur est un de mes amis d’enfance, Houtaf Khoury.
Comment travaillez-vous avec ces arrangeurs ?
Pour le Concerto, j’avais toujours en ligne de mire une chose. Ne pas faire trop compliqué, car j’allais jouer pour un public de curieux, pas de mélomanes. Je me devais donc de ne pas les ennuyer avec une musique trop savante.
Vous y avez joué deux morceaux au piano, « Tripoli » et « Save One Life ».
Celles-ci n’ont rien d’intellectuel. Le piano joue de la première à la dernière note, c’est ce que le public semble apprécier. D’ailleurs, à chaque fois que je joue « Save One Life », avec ce dialogue entre le piano et la trompette – joué par un très bon trompettiste venu du jazz –, j’ai des frissons.
Et quelle est votre ambition musicale avec ce Concerto ?
Que la « Fantaisie Orientale », que je joue depuis dix ans, devienne un classique. C’est de la musique orientale à l’européenne, remplie d’images. D’ailleurs, pour la version jouée à la fin du « Concerto pour la Paix », j’ai ajouté un passage chanté. C’est une mélodie qui m’est venue à l’annonce de la mort de Roland Dumas (en juillet dernier, ndlr), mon mentor et proche. Quand j’ai voulu l’ajouter au concerto, tout le monde était contre. J’ai insisté, et j’ai bien fait. Cet interlude chantée, je l’ai entendu pour la première trois jours avant le concerto, à la Philharmonie (où avaient lieu les répétitions, ndlr). J’ai choisi de placer les chanteurs dans la salle, comme une réponse venant du public à ma demande de paix.
Ça a marché ?
Vous savez, à mon concert, un ultra-conservateur et un écologiste se sont réconciliés. Ils m’ont envoyé un texto alors qu’ils déjeunaient ensemble, pour me dire qu’ils avaient compris le message !
C’était un défi, d’inviter tant de personnes si différentes ?
Oui ! Déjà, telle célébrité ne voulait pas venir si telle autre était présente… Mais toutes sont venues – et il n’y a pas eu d’esclandre. Pour les politiques, c’était pareil. Ceux de droite ne voulaient pas de ceux de gauche. D’autant qu’il y avait une campagne de déstabilisation contre moi.
On vous reproche surtout votre proximité avec Robert Ménard, le maire de Béziers…
Je vous rappelle que je suis musulman – d’habitude, les politiques classés à l’extrême-droite aiment les chrétiens d’Orient, pas les musulmans du pays. Et Robert, je le connais du temps où il était à la tête de Reporters sans frontières. Il peut vous raconter tout ce qu’on a fait ensemble, combien de journalistes nous avons sorti de Syrie, de Russie… Notre amitié va au-delà de la politique. Je fais construire des écoles dans les régions pauvres du Liban, et c’est la ville de Béziers, grâce à lui, qui nous envoie tout le matériel scolaire…
En sortant du concert, j’ai croisé des imams, des rabbins, un prêtre…
Ce Concerto avait pour but d’unir toutes ces personnes différentes le temps d’une soirée. J’en suis convaincu, la musique sauvera le monde !
Vous comprenez ceux qui se montraient sceptiques avant le concert ?
Pendant des années, je n’ai dit et fait que des bêtises à la télévision. Les journalistes voulaient que je montre le côté jet-setteur, le yacht, l’hélicoptère, etc. J’attendais, de ce fait, le bon moment pour montrer qui je suis vraiment. D’où ce concert.
Vous comptez vivre centenaire. Comment allez-vous faire ?
On n’est jamais à l’abri d’un accident, mais oui, j’espère le devenir. Depuis plus de 15 ans, je dîne à 17 heures, je me lève à 5 heures du matin, je déjeune à 11 h 30, je ne mange rien le soir, pas de sucreries, pas de pain. Je fuis la fumée des cigarettes. Et je fais mon sport – et mes gammes – tous les jours !
Entretien Léa Guillonnet & Laurence Rémila
Photos Axel Vanhessche