En l’honneur de Technikart Mademoiselle et en partenariat avec Jonathan Gervoson, la talentueuse Sylvia Galmot expose au 18 rue de Turenne sa bien nommée série photo “La Parisienne”. Loin des clichés incarnés par Emily in Paris, ses Parisiennes charment et désarment les cœurs “l’air de rien”. Rencontre avec Sylvia, photographe engagée et partenaire idéale pour sonder les mystères de la féminité autour d’un verre au Flore.
Comment vous présenter ?
Pour être honnête, je ne sais pas bien le faire. Je suis toujours dans l’ombre – c’est de là qu’on met le mieux les autres dans la lumière. Derrière mon appareil, je m’attache à capter le meilleur de l’autre. Un visage de trois quarts, un regard mutin, un sourire… Si vous me demandez de parler de quelqu’un, j’y arriverai très bien, mais parler de moi… Gourmande ! Voilà, ce que je suis. Je n’aurai pas assez d’une vie pour faire tout ce dont j’ai envie. Quand je suis sur un projet, je m’y consacre pleinement, j’ai l’impression qu’il est ce qu’il y a de mieux au monde et qu’il n’y aura pas mieux après. Quand c’est fini, je ressens un vide comme après un accouchement. Et peu après, je reprends goût à un autre projet, comme on se met à vouloir un autre enfant… C’est merveilleux de vivre passionnée.
Comment êtes-vous arrivée à la photo ?
Au départ, je voulais être comédienne. Mais jeune, j’ai connu un choc terrible qui m’a empêchée de poursuivre cette voie. Je suis allée m’acheter un appareil photo, et je suis passée derrière l’objectif. J’y suis à ma place. Comme j’avais beaucoup d’amis comédiens et comédiennes autour de moi, je les ai photographiés. Ces portraits ont commencé à faire le tour des bureaux de casting et ma carrière a démarré comme ça. Je mettais beaucoup d’amour dans ces photos. Les mots n’ont pas le monopole de l’expression, et comme une image en vaut mille, photographier me va très bien. D’autant qu’avec des images, on peut parler de tout. De la féminité – mon sujet de prédilection – mais aussi de la violence, de tout ce qui se passe dans le monde…
Qu’est-ce qui guide votre instinct de photographe ?
J’aime la beauté. Un monde sans elle ne vaudrait pas la peine d’être vécue. C’est tout de même ce qui nous sauve, ce qui nous fait espérer… Pour la trouver, je me rendais souvent dans les musées pour y admirer des expos, des tableaux, des œuvres. Mais on trouve le beau partout – à condition d’ouvrir les yeux ! Au fond, la beauté est d’abord dans le regard qu’on porte sur les choses. Mais au-delà de la beauté, et comme tout photographe, je mets beaucoup de ce que j’ai en moi dans mes photos. C’est ce qu’on appelle la “patte” d’un artiste : cette part de lui-même reconnaissable dans son travail.
Avez-vous une méthode de travail ?
“Less is more” est ma devise. Quand on part avec moins, on s’applique tellement pour être à la hauteur qu’on se surpasse. En tant qu’artistes, surtout en début de carrière, on ne dispose pas toujours des moyens nécessaires pour produire ses projets. C’était mon cas en 2010 par exemple, lorsque j’ai mené un travail sur les personnes transgenres. Je venais de vivre une séparation, j’étais jeune maman, la période était difficile. J’aurais pu me dire : je n’ai aucune équipe, aucun lieu, aucun moyen – ce n’est pas le moment. Quelqu’un de normal aurait raisonné ainsi. Moi, j’ai eu cette envie anormale de réaliser ce projet. C’était maintenant ou jamais. Je me suis demandée : si je le veux vraiment, qu’est-ce qui m’empêche de le faire ? Pas de maquilleur, pas de styliste ? Je n’ai qu’à le faire moi même ou à demander aux photographiées de se maquiller, de se coiffer elles-même, de venir avec leurs propres vêtements. Pas de gros spots lumière à disposition ? Formidable, shootons en lumière naturelle, ce sera mieux pour la planète. Ce qui était au départ un problème financier et une sensibilité écologique s’est transformé en un véritable atout esthétique. L’authenticité dont ces photos sont empreintes les rend touchantes. Si j’avais eu plus de moyens, le rendu de mon travail aurait été bien plus impersonnel. Autre exemple amusant : mes premières photos de nus ont vu le jour… parce que je n’avais pas de styliste ! Se passer de vêtements est l’idée qui nous est venue, dans un élan hautement pragmatique. Grâce à ça, le shoot a été maintenu, la mannequin ravie et les photos réussies. Quand on a rien, on trouve des solutions à tout. C’est incroyablement stimulant. Aujourd’hui encore, même lorsque je travaille pour une grande marque, je reste fidèle à cet esprit de simplicité. Il n’y a qu’à voir le travail de Stanley Kubrick sur son film Barry Lyndon, entièrement tourné en lumière naturelle – chaque plan est d’une beauté égale à celle d’un grand tableau.
Les femmes sont au cœur de votre travail. Qu’est-ce qui vous fascine chez elles ?
C’est leur mélange de force et de fragilité. C’est pourquoi je voudrais toutes les photographier, des parisiennes aux geishas, des transgenres aux afghanes… Je rêve de faire un livre sur les femmes, tous horizons, milieux, cultures confondus. Quand je vous dis que je n’aurai pas assez d’une vie ! Tout récemment, je suis allée photographier des détenues dans leur cellule. Capturer l’invisible pour leur rendre leur humanité. Fragiles ou dures, révoltées ou écorchées, ces femmes en prison m’ont bouleversée. Je voulais qu’elles se trouvent belles dans mon regard, que ces photos soient bénéfiques pour elles. C’est un projet que j’avais à cœur et en tête depuis vingt ans, notamment pour l’expérience humaine que cela garantissait. Je ne voulais pas juste quelques clichés de détenues à la volée, mais un vrai échange de femme à femme, de cœur à cœur. On sait bien que si une femme finit en prison, c’est qu’elle a commis une faute grave. Mais ce qui m’intéresse, c’est pourquoi elle l’a fait. Très souvent, une femme qui se retrouve derrière les barreaux est victime avant d’être bourreau.
Ce n’est pas le cas des hommes ?
Parfois, mais pas aussi souvent. Les hommes pensent avec leur sexe. On n’a jamais dit ça d’une femme. La femme pense avec le cœur. Mon but, c’est de comprendre. Comprendre par exemple les femmes transgenres, qui n’avaient jamais retenu mon attention avant ma série de photos consacrées à elles. Je voulais sensibiliser à ce sujet les gens qui, comme moi à une époque, ne comprenaient pas ces hommes ou ces femmes nés dans le mauvais sexe. Je ne les ai pas photographiées comme des personnes étranges mais comme des êtres qui dû parcourir un long chemin pour arriver à être ce qu’ils sont… La nature commet des erreurs qui doivent pouvoir être rectifiées sans que l’on ait à s’en faire juge ou critique. Je crois à l’art comme moyen de changer le monde – ou du moins le regard que l’on porte sur le monde. Les mots s’adressent à l’intellect, alors on débat avec, on se débat avec, tandis que l’image frappe au cœur. Elle laisse une plus grande marge d’interprétation et de liberté. C’est parfois la meilleure voie que puisse emprunter un message pour convaincre.
De toutes les femmes, ce sont les parisiennes qui retiennent le plus votre attention. C’est qui, c’est quoi, la Parisienne ?
C’est une attitude. Une façon d’être et de faire. Une nonchalance. La parisienne n’est jamais très apprêtée, et surtout pas bling-bling. Jamais too much, elle fait de “less is more” sa devise. Une sorte d’anti-américaine. On ne la verra jamais avec le brushing fait, sans un cheveu qui dépasse. La simplicité, c’est son mot d’ordre. Si elle est (trop) bien habillée, elle va casser le tout pour avoir l’air plus casual. Et si son look est travaillé, ça ne se voit pas. Toujours underdressed plutôt qu’overdressed. En jeans, veste, tee-shirt plutôt que guindée. Elle peut se le permettre car elle ajoute cette petite touche à elle, ce trois fois rien qui va l’habiller : un sac qui va changer son allure, quelques gouttes d’un parfum Guerlain… Les détails et accessoires lui sont chers. Bien dans sa peau, la parisienne est avant tout une femme libre, qui fait rêver le monde entier. Elle sait comme personne allier les termes “bonne vivante” et “élégante” : on la voit souvent manger du saucisson ou des chips à la terrasse du Flore, boire un verre de rouge, fumer une cigarette…
Est-ce un art d’être parisienne ?
Absolument. Son élégance est parfois innée mais peut aussi se travailler. Beaucoup de parisiennes l’acquièrent au gré de leurs sorties, de leurs rencontres, ou même de leurs lectures (Vogue plutôt que Voici ou Gala…). Une provinciale peut ainsi devenir une authentique Parisienne – et en avoir l’esprit et l’allure bien plus que certaines autochtones. La parisienne en pleine maîtrise de son art arrivera avec la chemise sciemment débraillée à son rendez-vous – bien plus chic qu’une autre tirée à quatre épingles. De la même façon que la parisienne du 6e, de Montmartre ou du Marais, spontanée, n’a rien à voir avec celle, plus sophistiquée, de certains autres quartiers.
Ça veut dire que la Parisienne avec un P majuscule n’est pas la parisienne de n’importe quel arrondissement ?
Il faut admettre que la quintessence de la parisienne sied mieux à la rive gauche. A Saint-Germain des Prés par exemple, il y a des parisiennes à tous les coins de rue. Si on va par exemple dans le 7e, le 8e, le 16e, ce n’est pas la même chose. La parisienne germanopratine porte à son poignet des bracelets en breloque, une jolie bague, rien de prétentieux – alors que celle de ces autres arrondissements a les siens en or et de marques.
Son défaut, ce ne serait pas d’être un peu snob, par hasard ?
C’est sa nonchalance qui peut lui donner un côté snob. Un défaut qu’elle n’a pas en revanche, c’est la vulgarité. La parisienne peut être parfois grossière, mais jamais vulgaire. Par exemple, elle va oser un franc “eh merde !” quand une autre minaudera un hypocrite “Oh mince alors”. C’est très nuancé !
Finalement, la parisienne est un être de paradoxes…
Tout à fait. La parisienne sait donner l’impression qu’elle sort à la fois de son lit et d’un magazine. Ses cheveux coiffés-décoiffés, son style effortless qui requiert pourtant bien quelques efforts en amont, son teint naturel alors qu’elle a peut-être passé trois quarts d’heure dans sa salle de bain à le parfaire, les sourcils au naturel aussi, qu’elle va tout de même brosser, mais pas maquiller pour autant… La parisienne manie parfaitement l’art de l’équilibre entre ses petites contradictions. Elle aime les belles choses, les beaux endroits, les belles adresses, comme le Bon Marché, la Grande Epicerie… mais pas que ! En vacances elle va partir là où la plage se fait désert, pieds nus, avec pour seul souvenir de Paris un flacon de son parfum préféré. En fait, la Parisienne aime ce qui est beau l’air de rien.
Qu’aimeriez-vous immortaliser de la parisienne dans vos photos ?
La féminité. Et l’émotion, toujours. Chez la femme, qu’elle soit parisienne, détenue, transgenre, ou autre, il y a un je-ne-sais-quoi d’irrésistiblement émouvant. Soit parce qu’elle est trop sûre d’elle et cela cache quelque chose, soit parce qu’elle doute d’elle et c’est touchant. Un monde à part entière existe derrière un regard, une attitude, une position, un sourire… En fait, c’est le mystère qui m’intéresse. C’est l’histoire qui habite chaque femme. J’aime aller au-delà de l’apparence. L’essentiel repose dans ce qui ne se voit pas, l’âme n’a pas de visage. Derrière la parure, derrière l’armure, il y a toujours quelque chose de passionnant à capter, que le bouclier soit en fer ou en dentelle…
Propos recueillis par Dobra Szwinkel