En février 2016, date de son départ d’Universal, les nigauds donnaient Pascal Nègre pour mort. Un an et demi plus tard, rire toujours aussi tonitruant, il multiplie les projets.
Extrait d’une rencontre dans ses nouveaux bureaux avec un mal-aimé qui invente le music-business de demain.
Maître Gims ou Aznavour ?
Bonjour Pascal. Récemment à la télé, vous aviez sorti une idée originale sur la langue française …
Dans tous les débats sur la France et la nation, je fais juste remarquer ça : on a tendance à penser que c’est dans les banlieues qu’on n’a pas le sens de l’identité nationale. Très bien. Sauf que, excusez-moi, mais les rappeurs chantent en français alors que ceux qui sont dans l’électro et sont plutôt des fils de bourges, eux ils chantent tous en anglais. Donc s’il y a un problème d’identité, il est plus dans les quartiers chics que dans les quartiers populaires. Ça fait rire tout le monde, mais c’est vrai ou faux ? Un Maître Gims ou un Stromae vont vous parler de Jacques Brel et d’Aznavour – alors que les petits Versaillais, non.
Daft Punk, Air et Phoenix, ce serait donc de la pop macroniste pour les classes aisées mondialisées ?
Je ne dis rien, ils ont du talent ! Mais bon… J’étais à Los Angeles, aux Grammy Awards 2014, quand Daft Punk avait fait son titre avec Pharrell Williams, Nile Rodgers et Stevie Wonder. Après, il y avait les soirées des différents labels. En tant que Français, je me la pétais grave : « Eh les mecs vous avez vu ? » Et on me répondait : « Ah, le groupe de Pharrell ? » Si vous pensez que sur Daft Punk il y a un drapeau tricolore… À l’étranger, personne ne sait qu’ils sont français.
Los Angeles, c’est là où vous aviez sidéré les pontes de Vivendi en vous présentant à une réunion comme « the Queen of French music ». Depuis, les comptables ont pris les commandes d’Universal ?
Il n’y a pas de comptables à la tête d’Universal. Le patron d’Universal monde, c’est Lucian Grainge, un vieux pote, un excellent directeur artistique qui a découvert Amy Winehouse et Mika. Maintenant, mon humour c’est mon humour, ça plaît ou ça plaît pas. Mes costumes, pareil. Fondamentalement, je suis un homme libre. Si vous voulez me faire dire qu’on n’avait pas d’atomes crochus culturels avec Vincent Bolloré, effectivement. Vincent Bolloré est un financier remarquable, chapeau, et puis moi, à mon modeste niveau, je fais mon boulot. Ça n’accroche pas, tant pis, on est grand, on se dit au revoir et on passe à autre chose.
Vous aviez le sentiment d’être le dernier des mohicans ?
Il y en aura d’autres ! Moi j’ai connu Eddie Barclay, donc je suis certain qu’un jour je connaîtrai le prochain. D’où sortira-t-il, je n’en sais rien. D’une plateforme, d’un label indépendant, d’une boîte de management …
Vous disiez qu’avec le streaming, la France va partir à l’assaut de l’Afrique. N’est-ce pas l’inverse qui se passe ? La première signature de Six et Sept est une artiste produite par Maître Gims et Dany Synthé, Awa, d’origine guinéenne et sénégalaise.
C’est les deux. Une partie de la variété française, en effet, ce sont les musiques urbaines qui sont devenues des musiques populaires – et là, il faut saluer le travail effectué par Skyrock, sans qui ça n’aurait pas eu lieu. Mais il y a plein d’autres musiques qui connaissent le succès. Claudio Capéo, ce n’est pas du rap. Awa, ce qui m’a intéressé, c’est que dans la musique urbaine il y a plein de mecs et quasiment pas de filles. Sur Six et Sept, on a aussi Marie-Flore, entre Françoise Hardy et un univers rock un peu dark. Ce que je cherche, c’est l’unicité à chaque fois.
Est-ce qu’Universal pompe vos idées depuis votre départ ? On vous avait vu parler du streaming en Afrique en mars dernier dans Le Figaro. Deux mois plus tard, votre remplaçant Olivier Nusse reprenait pile le même discours dans Le Monde …
Ah ah ! Vivent les bonnes idées ! L’Afrique, c’est une intuition que j’ai depuis un moment. Quand, il y a trois ans, vous voyiez que les deux meilleures ventes de disques en France étaient Maître Gims et Stromae, vous vous disiez qu’il se passait un truc ici, mais aussi là-bas. Qu’il y avait des ponts sur lesquels il fallait se pencher.
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Vos autres visions, c’est quoi ?
Avec le digital, le marché va ressembler à ce qu’il était dans les années 70 : les majors en représentaient alors la moitié et les indépendants l’autre moitié. Dans les années 90, avec l’explosion du CD et la cotation des maisons de disques en bourse, les gros ont mangé les petits. Puis avec la crise, les gros se sont rachetés entre eux. Après cette consolidation, on va assister à une atomisation. Comme l’univers, ça se concentre et ça se déconcentre. On va revivre le Big Bang des années 60 et 70.
ENTRETIEN LAURENCE REMILA & LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD / PHOTOS PIERRE MONETTA