En cinq ans, le Domaine de Leos (L’Isle-sur-la-Sorgue en Provence) est devenu un acteur majeur de l’huile d’olive en France. Rencontre avec son heureux propriétaire, Patrick Bruel, entre une promo d’album et une virée dans les vignes.
De 2006 à aujourd’hui, l’oliveraie du Domaine de Leos est passée d’une cinquantaine d’arbres à près de 4000. Par quelles circonstances es-tu devenu le propriétaire d’une petite entreprise, au départ lieu de villégiature réservé à ta famille ?
Patrick Bruel : Le Domaine ne s’est pas transformé. C’est, et cela restera, la maison de famille, avec ma mère, les enfants et les amis. On l’a agrandi, mais sans velléité, au départ, de commerce. Je l’ai acheté en 2006 et vers 2011, j’ai eu envie de faire un peu d’huile, pour nous et pour en donner aux amis, avec les quelques oliviers du domaine.
Comment démarrez-vous ?
On fait quatre-cinq litres, corrects. Et puis on continue à planter des arbres et à augmenter la production. C’est vraiment à partir de 2017, lorsque j’ai vendu Winamax (Patrick Bruel était l’un des fondateurs actionnaires du site de paris en ligne, ndlr), qu’on s’est mis à le développer. On a créé le rosé, le miel, les confitures, et on s’est mis à penser et à organiser un écosystème vertueux sur un terroir incroyable.
Tu as d’autres projets dans la région ?
En ce moment, on réfléchit également à un hôtel. En vérité, l’aventure Winamax n’était pas non plus pensée à l’avance. On me demandait régulièrement de représenter tel ou tel site de poker, alors je me suis dit peut-être que je pourrais le développer moi-même. On a fait équipe avec des gens extraordinaires qui se sont occupés du site, etc. C’est toujours guidé par des rencontres et par la passion que je fais les choses. Seulement, une fois que je mets le pied dans un projet, je cherche à m’entourer de gens brillants, pour atteindre l’excellence.
Et quelles sont les difficultés du 100 % made in Provence ?
En Provence, on rencontre le gèle, même si un peu moins qu’ailleurs en France. Les équipes vont, la nuit, réchauffer les vignes. On a également eu le « problème de la mouche » (la mouche de l’olive pond un vers qui se nourrit du fruit, ndlr). En vrai, tous ces problèmes sont liés au climat, puisque la mouche ne vient que si les conditions climatiques ne sont pas réunies.
Donc, pour reprendre le slogan des éco-warriors, il faut mettre le « Climate first » ?
Absolument. Cette jeunesse, qui prend en main son destin, qui met sur la table des problèmes centraux, qui interpelle les gens – parfois avec beaucoup de bon sens, parfois avec quelques dérives – développe une prise de conscience qui gagne tout le monde. Il y a deux ou trois ans, on entendait certains dire : « Arrêtez de parler de la fin du monde, parlez de la fin du mois ». Aujourd’hui, la détresse s’est déplacée et concerne, en même temps, presque sur le même plan, l’environnement et les problèmes du quotidien. J’ai d’ailleurs une chanson sur mon album, « On en parle » (album Encore une fois, 2022, ndlr), sur le repli sur soi, l’individualisme forcené. Nous sommes dans un monde qui traverse des mutations, il y a forcément des effets pervers, néfastes, en fin de compte.
Cette réalité écologique, tu l’avais déjà ?
J’ai toujours eu une forme de conscience du gaspillage, de ne pas laisser l’eau couler, des petits détails, des gestes quotidiens. Ce qui change maintenant, c’est qu’on y pense pour chaque décision. Donc, je suis aussi rattrapé par cette prise de conscience. Quand on a commencé le domaine, on a immédiatement voulu travailler proprement, en respect de sa biodiversité et de ses produits. C’est contraignant, c’est du travail et ça coûte plus cher. Mais le jeu en vaut largement la chandelle.
Cette exigence d’oliveraie responsable et respectueuse de l’environnement, est une condition nécessaire pour toi ?
C’est très important pour moi et aussi pour nos abeilles. Je suis attaché à l’idée que, maintenant qu’on a agrandi le domaine, des kilomètres à la ronde, elles ne peuvent pas faire de mauvaises rencontres. On fait un joli miel de lavande. J’ai toujours expliqué aux enfants le rôle des abeilles, donc là, c’est concret.
Comment transforme-t-on un produit de beauté antique, l’huile d’olive, en base pour une cosmétique originale, contemporaine et luxueuse, L’Olivier de Leos ?
On fait de la cosmétique avec les feuilles des oliviers. L’huile a une vertu thérapeutique et en cela, l’olive est un trésor d’humanité. Je cite toujours une grand-mère morte à 107 ans, alias « Big mamie », qui n’a jamais pris d’antibiotiques de sa vie. Je lui ai demandé son secret, son ingrédient : la cuillère d’huile d’olive tous les matins. Je le fais.
Tous les matins ?
Presque… Donc on a toujours un produit qui a les mêmes vertus et il suffit seulement de le redire, de réaffirmer son efficacité.
Avec le domaine, ont été développées l’huile H (l’originale), l’huile fruité vert, l’huile fruité mûr. Peut-on s’attendre à d’autres variations ?
Pour l’instant, non. La reine des trois, l’huile originale du domaine, est accompagnée de deux sélections, vert ardant et mûr. Je vais voir si, à l’avenir, on glisse vers les parfums – on a de la truffe sur le domaine. Mais, pour le moment, je sais que ce n’est pas à l’ordre du jour.
Aurais-tu un plat ou un produit pour consommer chacune d’elles ?
Franchement, tout fonctionne avec les trois. Mais pour répondre, plus le plat est simple, plus le filet d’huile va le faire exploser. Donc des pâtes, avec juste un filet d’huile dessus. La pastèque, le melon. La fraise ! Pierre Hermé en a fait un dessert ! On a également fait un chocolat avec Alain Ducasse. J’aime aller vers le sucré : j’adore la mousse au chocolat avec un filet d’huile d’olive. Il ne faut pas la cuisiner, elle perd de sa valeur. Elle est là pour faire vibrer un plat !
La gamme de cosmétique a été accompagnée par Solène Gayet, ancienne de Dior et de l’Occitane. Quelle est la clientèle que vous souhaitez attirer ?
Je sais qu’on touche un assez vaste éventail de personnes : aussi bien des hommes que des femmes, et de tout âge.
Y a-t-il un produit que tu utilises dans ta salle de bain ?
Oui, les savons pour les mains, et le sérum, qui est pour le visage. J’aime beaucoup la fragrance. Je tenais absolument à ce qu’on ait une identité olfactive. Le reste, je ne sais pas le faire. Mais je tenais à cela – et je suis content du résultat.
Et qu’offrir pour Noël parmi ces références ?
Le coffret ! Avec une sélection de toute la gamme, des crèmes, des huiles pour les mains, le visage, les cheveux.
Quels sont les produits que le domaine commercialisera demain ?
La gamme est déjà grande. Mais la nouvelle version de notre rosé, c’est ce qui va arriver. Vin rouge et blanc, seront pour dans deux ans. Mais le rosé, c’est pour demain. On s’est associé à Nicolas Jaboulet pour développer ce rosé qui sera, je l’espère, d’exception. On a une très belle bouteille qu’on va bientôt présenter.
Le « Leos » est une contraction entre les noms de tes deux fils, Léon et Oscar : est-ce qu’ils sont intéressés par le domaine ?
Oui, c’est leur maison, c’est leur domaine. On a fait le logo à partir d’une photo d’eux ; deux petits garçons qui cherchent à attraper des olives. C’est pour la famille que j’ai acquis le domaine, pour qu’on ait des racines. Je suis né en Algérie, j’ai grandi en région parisienne. Je me suis dit que planter ma tente au milieu de mon monde, qui est la Provence, avait du sens. Ma mère vient, mes frères et leurs enfants aussi, les miens également. Ce n’est pas leur préoccupation principale, mais ils posent les bonnes questions et sont intéressés.
Entretien Alexis Lacourte
Photos Naïs Bessah