PAULINE CLAVIÈRE : « LE CHAOS ET LA LIBERTÉ ! »

Pauline Claviere technikart

À ses talents de journaliste (elle a commencé comme JRI et travaille aujourd’hui avec Mouloud Achour sur Clique), Pauline Clavière ajoute ceux de romancière. Son dernier ouvrage, Wunderland, se situe dans le Cantal, au carrefour de l’enquête, du témoignage et du merveilleux. Interview wunderbar.

Légende photo : PAYS DES MERVEILLES_ Une année, 1977. Deux Allemandes, libres et intrigantes. Un hameau au fin fond du Cantal. C’est le cadre de Wunderland, le nouveau roman-enquête de la journaliste Pauline Clavière.

Votre roman s’articule autour d’une arrivée « troublante » : deux Allemandes débarquent dans un village du Cantal à l’été 1977. Situer l’action au fin fond de ce territoire français reculé était-il un choix esthétique ?
Pauline Clavière : En fait, ma mère est née dans un tout petit hameau du Cantal, et c’est elle qui m’a raconté cette histoire depuis qu’elle est toute petite. Elle me parlait de ces deux Allemandes qui ont débarqué dans ce village d’où elle est originaire à la fin des années 1977 et qui ont semé à la fois le chaos et la liberté. Que cette histoire ait eu lieu dans une région reculée fait tout l’intérêt : lorsqu’elles arrivent, elles agitent tous les fantasmes. Les mecs sont comme des fous, ils n’ont jamais vu des femmes comme ça.

Elles se heurtent à une campagne archaïque, mystique ?
En quelque sorte. Il y a en effet quelque chose de très troublant. Ces femmes leur font peur, mais ils les désirent. Les femmes, de leur côté, sont à la fois inquiètes, mais ont aussi envie de leur ressembler, de goûter à leur liberté. Cela induit beaucoup de changements, de cataclysmes, à la fois terribles et libérateurs. Et tout ça dans un tout petit lieu, a priori clos. Le charme vient de là.

Cet affranchissement des moeurs, dans un milieu paysan, très rural, par quoi passe-t-elle ? 
Une des Allemandes a vingt ans, l’autre est dans sa trentaine. Elles sont très belles, très jeunes et apportent avec elles tout le mouvement hippie. Elles fument des clopes, boivent des coups… Lorsque ma mère me racontait son passé, je ne comprenais pas pourquoi elle insistait autant sur cette histoire.

« ON A DIT QU’ELLES ÉTAIENT DES ESPIONNES, DES FILLES DE NAZIS, DES SORCIÈRES… »

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire un livre ? 
Je me suis mise à me demander ce que ma mère voulait que je comprenne à travers la vie de ces deux femmes. L’été dernier, je suis partie en vacances avec elle, là-bas. Je suis passée devant la maison d’une de ces femmes, à qui plus personne ne parle. Je me suis dit qu’il y avait mille et une histoires à raconter. On a tout dit d’elles, qu’elles étaient des espionnes, des filles de nazis, des sorcières… J’ai fouillé les archives familiales – ma mère est un personnage clé du roman –, j’ai égrainé les photos de famille, j’ai travaillé avec le maire du village, avec mon oncle, ma tante…  puis je suis allée à la rencontre des principaux témoins dans l’espoir de les rencontrer. Tout le monde me disait qu’elles étaient complètement alcoolos, qu’elles sont folles et qu’elles ne nous ouvriront pas la porte.

Et ? Vous les avez rencontrées ?
Ah… il faut lire le livre !

Donc Wunderland se lit comme une enquête ?
Oui, le processus d’écriture a lui-même suivi les pas d’une quête. Le but de l’ouvrage, c’était aussi, in fine, de comprendre leur version de l’histoire, de voir la façon dont elles avaient tissé des liens avec les paysans de l’époque qui les ont accueillies, dont certains avaient été prisonniers du STO, et ont créé une forme inédite d’amitié avec elles. C’est une sorte de polar historique qui nous plonge même dans les camps des années 1945.

Que cherchiez-vous à dire en choisissant ce titre, Wunderland ?
Ça veut dire « pays des merveilles », comme en anglais. Lorsque ces deux Allemandes arrivent, elles disent : « Wunderland baby ». Il y a quelque chose de l’ordre du merveilleux dans ce territoire pour ces deux femmes. À un moment, l’une dit : « Je ne sais pas si j’aurais de nouveau le droit d’être Allemande aux yeux du monde ». Il y a aussi la question du rachat. Elles cherchent un « autre lieu », un refuge. C’est une des clés du roman, de se demander si un jour on a le droit au pardon quand on fait parti d’une nation qui a commis un génocide.

Vous vous servez beaucoup de l’image canonique de la « sorcière ». Qu’ajoute cet imaginaire au portrait de ces deux femmes ?
C’est surtout un mot que les autres leur apposent, qui désigne l’étrangère, la femme presque trop libre, qui désigne aussi et surtout tout ce qu’on ne comprend pas. Et a fortiori, si cet incompréhensible est féminin, il est d’autant plus inquiétant. Ce vocabulaire, qu’utilisait ma mère, c’est quelque chose que j’ai gardé, et que j’adore. J’aime me dire qu’il y a toujours quelque chose de mystérieux chez les êtres, qu’il faut l’accepter et que c’est aussi ce qui fait la beauté des humains.

Vous avez ajouté une playlist à la fin de votre roman, c’est un truc très à la mode.
J’en ai même mis deux ! La première, ce sont des musiques de l’année 1977, comme « Yes Sir, I Can Boogie », qui ont débarqué dans les campagnes en même temps que ces Allemandes et témoignent d’un bouleversement culturel. Tu captes la déflagration que ça a été pour eux l’arrivée de cette modernité et de ces femmes. Après, j’y ai mis les musiques que j’ai écoutées en écrivant.

Côté romans-enquête, quelles sont vos inspis ?
J’adore les policiers purs jus, comme Fred Vargas. J’aime beaucoup la littérature nordique. Et il y en a un qui surplombe tout dans l’écriture pure, c’est Jón Kalman Stefánsson, un auteur islandais. Sans oublier l’italienne Goliarda Sapienza, elle a cette façon de raconter l’histoire, de raconter les femmes, et ce rapport au corps avec le regard, les sensations,…

Dans ce genre de romans-enquête, il y a souvent aussi un cheminement personnel, une sorte de quête, d’initiation. Cela a été votre cas ?
Il y a un chemin, c’est sûr, mais in fine, je n’ai rien découvert de fondamental sur moi ou ma mère. Ce qui m’intéressait, c’était par jeu de miroir, la façon dont les histoires des autres finissent toujours par être un peu les nôtres. Cette figure de l’étrangère est cruciale dans le roman, et ô combien d’actualité. On est toujours l’étranger de quelqu’un à un moment donné de l’histoire. Je pense que ces deux étrangères qui sont arrivées très tôt dans ma vie par le récit ont induit chez moi un regard très différent sur l’étrange qui débarque, mais qui est, finalement, une figure d’ouverture.

Pauline Clavière, Wunderland, Albin Michel (400 p., 22,90 €)

 

Par Alyssia Lavenant & Laurence Rémila
Photo Axel Vanhessche