Le grand sage des lettres françaises écrit sur les femmes et le sexe depuis un demi-siècle. Quel regard porte-t-il sur les relations femmes-hommes depuis les années 90 ?
Maître, nous nous interrogeons sur les notions d’une sexualité « bankable », fruit d’une véritable course à la rentabilité. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Philippe Sollers : Nous avons un héros qui, à l’âge de seize ans, a eu la chance de rencontrer une femme qui avait vingt-quatre ans de plus que lui. Il a donc fait cette expérience fondamentale pour un jeune homme d’avoir affaire à une femme qui avait déjà trois enfants. Elle s’appelle Brigitte. Lui, Emmanuel. Et tous les deux sont désormais à l’adresse où vous pouvez les joindre, c’est-à-dire au palais de l’Élysée. J’estime que cette expérience précoce qui s’est tenue à l’ombre de cours de théâtre dans un lycée jésuite privé, La Providence, est tout à fait capitale pour comprendre la séduction du nouveau président et le coup d’État technique qu’il vient d’opérer. Tout jeune homme qui n’a pas fait ses classes dans cette dimension ne comprendra rien à l’existence sexuelle et sera dépassé par les femmes qui sont en train de s’émanciper et de prendre le pouvoir. Elles le prendront d’autant plus que dorénavant la reproduction sera une pure et simple affaire technique, ce qui les soulagera de se prêter à une sexualité qui la plupart du temps les révulse, même si elles font semblant de s’en contenter. Donc je dirai : Macron a tout compris !
Lire aussi : Pourquoi il faut (re)lire Zombies de Bret Easton Ellis
Comment l’homme de lettres que vous êtes analyse les comportements amoureux ou sexuels de nos jeunes concitoyens ?
Les jeunes gens d’aujourd’hui, s’ils sont mâles, sont d’autant plus à côté de la plaque s’ils sont hétérosexuels. D’une certaine façon, l’expansion de l’homosexualité masculine est une voie possible de cette nouvelle répartition de la séparation des sexes. Aujourd’hui, entre les sexes, c’est la guerre ! Au café, je regarde les jeunes femmes se « selfiser » l’une l’autre à n’en plus finir. Elles se montrent leurs photos. Il n’y a plus personne pour regarder ou pour parler dans ce qu’on nommait autrefois la conversation. Il n’y plus d’Autre. Il y un narcissisme généralisé garanti par l’image de soi en train d’être consultée sans arrêt. Les garçons, eux, continueront à avoir quelque chose qui ressemble à une communication verbale. Mais le concept de drague est absolument obsolète. C’est fini ! Il s’agit de rapport entre images. L’image de soi répercutée sans arrêt par soi-même, ce qui permet une anesthésie profonde. On est dans le réglage de la communication instantanée. Et puis dans la perte de toute lecture personnelle. Cette passivité vous entraîne dans une porosité infectée par l’information constante.
Vous dressez un bilan assez noir finalement. Cette guerre des sexes ! On a quand même le sentiment que la sexualité a connu un âge d’or aujourd’hui révolu ?
La sexualité des jeunes gens n’est pas pauvre, elle est quasiment inexistante. Ça se donne des airs de liberté alors que la sexualité ne peut s’exercer que dans une stricte clandestinité. Dans une stricte intimité. Dans un strict échange. Vous pouvez tout faire. Si vous pouvez tout faire, ce n’est pas la peine de le faire ! L’époque est tout à fait régressive et tout à fait réactionnaire. Vous savez qui j’ai trouvé récemment sublime comme jeune fille ? Jelena Ostapenko lors de la finale dames de Roland-Garros ! J’étais en extase ! Cette femme est sublime. J’aurais dû l’enlever ! (Rires.) Elle a vingt ans, elle est lettone. Elle est éblouissante et sensuelle au dernier degré. Surtout lorsqu’elle tape avec son revers croisé.
Lire aussi : Nicolas Rey, ange déchu de la littérature
L’avenir appartient aux jeunes femmes, les jeunes garçons sont niaiseux. Les femmes sont très vite au courant de leurs intérêts. Au niveau planétaire, l’avenir appartient aux jeunes Chinoises. Leur pays devient la première puissance économique mondiale. Les jeunes Chinoises sont déjà d’une maturité extraordinaire et ne trimballent pas la vieille névrose occidentale. Elles sont dans une émancipation paritaire, sans cette religion monothéiste qui entraîne son lot de refoulements divers.
NICOLAS MONIER