20 ans après la création de sa maison éponyme, Pierre Guillaume présente STÆLIOS, un « parfum bilan » entre bois brûlant et cuir moderne. Interview.
En 2023, vous avez pris possession d’une nouvelle Manufacture en Auvergne. La Maison se prépare pour fêter les vingt ans de sa création en 2025 ?
Pierre GUILLAUME : Oui. Notre nouvelle manufacture est un lieu hybride abritant l’administration, le studio de création, les unités de production, la logistique, et une boutique. Retardé par la pandémie, ce projet a enfin pu sortir de terre et ainsi adapter notre capacité de production à notre croissance.
Votre nouveau site a été pensé comme une œuvre d’art grandeur nature. C’est important de pouvoir créer dans un cadre séduisant ?
Si l’on considère le temps passé sur notre lieu de travail, j’ai tendance à dire qu’il vaut mieux choisir ses collègues que son conjoint ou son/sa partenaire – et mieux choisir sa chaise de bureau, que le canapé dans son salon. Travailler dans un environnement pensé et soigné est un confort pour nos équipes et nos clients. La marque possédant une collection d’art contemporain initiée dès sa première année d’existence, les visiteurs peuvent aussi découvrir les œuvres.
En poussant les portes de la boutique de votre manufacture, on tombe nez à nez avec une louveteau en bronze, sculpture de Roland Cognet. Vos boutiques ressemblent d’ailleurs davantage à des galeries d’art qu’à des magasins…
J’aime penser et concevoir mes boutiques autour d’une œuvre d’art et particulièrement d’un totem d’animal. Au-delà du design, chacun de nos lieux est teinté de la personnalité de ces « gardiens de bronze ». Symboliquement, cette présence donne la sensation d’arriver chez quelqu’un et appelle un certain recueillement, une attention. Cela crée les conditions favorables à l’expérience olfactive.
Cette manufacture, c’est votre manière de vous ouvrir ?
Surtout d’ouvrir nos coulisses. Architecturalement parlant, c’est un lieu aménagé pour accueillir de nombreux clients, des professionnels comme des particuliers. C’est un peu nouveau pour moi, parce que je ne suis pas quelqu’un qui se livre beaucoup, encore moins professionnellement.
C’est vrai, vous êtes discret…
Il y a neuf ans, j’ai remercié notre Attaché de Presse et me suis caché derrière mes produits, me concentrant sur un dialogue exclusif avec mes clients. Ma personnalité se retrouve inévitablement dans mes créations, pas la peine d’en rajouter. Ma vie n’intéresse pas mes clients, mes parfums, en revanche oui.
Vos locaux se trouvent en Auvergne. C’est un lieu à part pour la haute parfumerie ?
Pas du tout, mais on peut composer et créer des parfums n’importe où et l’Auvergne est ma terre natale, j’y ai mon équilibre et une qualité de vie dont je ne saurais me passer. L’Auvergne abrite de nombreux sous-traitants du luxe français : maroquinerie, bijouterie, Hermès vient d’ouvrir une seconde unité de production. Le joaillier Van Cleef et Arpels à fait aussi le choix de s’installer ici.
« Discrétion » étant le mot d’ordre ?
Oui. C’est une valeur profondément ancrée dans la culture locale et qui fait bon ménage avec l’artisanat de luxe.
Une vie assez éloignée de Paris…
Paris est une ville qui reste fascinante malgré les périodes plus ou moins fastes, et quand je n’y suis pas revenu depuis longtemps, je reprends goût à l’aimer. Avoir le privilège de pouvoir profiter du meilleur des deux mondes, apprécier, repartir, revenir est en soi un vrai luxe… Et puis le manque est un des moteurs du plaisir.
Un lieu idéal pour créer votre nouveau parfum, STÆLIOS, un parfum à l’élégance animale. Pourquoi ce nom ?
C’est un mélange entre Stallion, l’étalon, et Hélios, le dieu soleil. J’ai, depuis mes débuts, régulièrement fabriqué des « mots-valises » pour intituler mes parfums… Félanilla est la contraction de Féline et Vanilla, Aomassaï se décompose en A-O-Massaï pour Amer et Oriental, etc.
Pour la première fois, vous donnez un visage à un parfum…
En travaillant sur la formule de STÆLIOS, j’avais en tête un personnage exprimant la dualité de la fragrance : une beauté classique et quasi universelle, quelque chose d’angélique mais doublé d’un magnétisme animal. Et mes équipes m’ont présenté Louis… d’abord via son Instagram, puis en réel. Depuis les photos de repérage ses cheveux bouclés avaient poussé et j’avais devant moi ce garçon charismatique mi héros romantique, mi dieu grec. En existant et par sa personnalité, il faisait exister mon parfum. Démarche nouvelle pour ma maison et moi, mais passionnante.
Et quelle serait la plus grande leçon apprise en vingt ans de carrière ?
La parfumerie est une discipline de formation continue. On apprend des nouvelles choses tous les jours. On bloque sur une difficulté technique durant des années pensant que « ce n’est pas possible sans passer par une nouvelle molécule » et un beau jour, une combinaison d’ingrédients connus et classiques dans des proportions différentes et le miracle de l’équilibre des forces et de la chimie apparaît. Comme le fond des océans, la parfumerie est un territoire dont on a exploré qu’une infime partie.
Quel est votre rapport aux tendances olfactives du moment ?
Pour trouver son public, un créateur doit trouver la juste distance entre la tendance et l’air du temps et son propre univers. En tant que Maison indépendante, si on suit systématiquement le flow, on est condamné à se faire chahuter. Inversement, faire du rétro ne mène nulle part. Le tempo est primordial. Faites un pas de côté et créez des fragrances narratives, contemporaines, sincères et surtout portables, et il y aura toujours quelqu’un qui appréciera votre travail et en fera l’acquisition.
Comment réagissez-vous quand, dans la rue, vous reconnaissez l’une de vos fragrances ?
Alors, la première fois, j’ai pleuré. Je suis toujours touché quand je vois quelqu’un se faire beau pour aller dans un club ou un restaurant en portant l’une de mes créations. Je me dis qu’il vivra peut-être quelque chose de cool avec un peu de mon travail… C’est juste le sens de ce métier.
Par Laurence Rémila
Photo : TopMagazin