Autodidacte, Pierre Mahéo s’est formé dans le prêt-à-porter avant de lancer Officine Générale en 2012. Rencontre avec le créateur breton qui a su conquérir le monde avec sobriété. Interview French Touch.
Vos grands-parents étaient tailleurs et ostréiculteurs, et partageaient un intérêt commun pour leur vestiaire. De quelle façon cela à jouer un rôle sur votre carrière ?
Pierre Mahéo : Mon grand-père tailleur, du côté maternel, était toujours habillé en costume, même pour le jardinage. Il avait un placard d’hiver, et un d’été avec ses costumes rangés du plus clair au plus foncé. Dans ce sens, il m’a éduqué aux niveaux des couleurs et des matières. Du côté paternel ostréiculteur de métier, c’était des tenues axées sur du denim, de l’oxford, et du chino délavé par les embruns. Deux vestiaires très distincts que j’ai mélangés, en laissant tomber la cravate.
Vous avez défilé à la dernière Fashion Week homme de Paris. Quel est le ton de cette collection ?
Dans l’esthétique et l’inspiration, c’est à mon humble niveau une déclaration à Paris. Pour les pièces, j’ai travaillé une proposition réaliste. Certains créateurs produisent des vêtements uniquement pour le show, et j’ai beaucoup de mal avec cette déperdition du style et de l’information. Rien ne sert de faire un défilé si c’est pour faire de l’image. Il faut qu’elle soit en corrélation avec ce qui va être proposé en boutique six mois après. Sinon on diffuse une fausse image et on crée de la frustration.
Vous ne surfez pas sur les tendances. Ce modèle de création est-il toujours un succès aujourd’hui ?
C’est important de s’ancrer dans un style. Officine Générale, n’est pas un jour cowboy, et le lendemain romantique. Je ne souhaite pas parler à tout le monde, mais bien parler à ma base de clients. La mode, c’est cyclique, on a pris des années de streetwear, et pour autant je n’ai pas fait des hoodies et de l’imprimé trash. Il faut savoir se renouveler au sein de son propre ADN.
Votre vision du vêtement s’en tient à son sens pragmatique ?
Je le laisse à sa place, je ne souhaite pas de logo pour ne pas annihiler la personnalité de celui qui le porte. Il faut remettre la personne au cœur du discours, et cultiver la différence.
Vous êtes tous les matins au café à Saint-Germain-des-Prés pour observer les passants. De quelle manière transposez-vous l’attitude quotidienne dans une collection ?
C’est dans les détails, une posture, une façon de nouer une écharpe, ou un mélange de couleurs. Aujourd’hui on est entré dans un fashion entertainment drivé par des stars, et ce qu’elles portent. Observer et choisir la façon dont on va porter le vêtement est bien plus intéressant.
Et vos inspirations tiennent de l’attitude masculine de la Nouvelle Vague. Comment travaillez-vous la silhouette féminine ?
Je trouve que les icônes femmes sont déjà utilisées et surexploitées. Pour la construction de la femme je ne m’enferme pas dans une époque, et je ne suis pas à l’inverse de l’homme dans une projection permanente vis-à-vis de ce que j’ai envie de porter, ce qui libère un nouveau champ lexical. Explorer la garde-robe de la femme m’a permis d’enrichir celle de l’homme.
Vous parlez de « Beautiful normalities ».
C’est l’essence du travail. Je trouve la beauté dans la normalité, et j’aspire à mettre l’accent sur les choses essentielles. C’est là où la différence se fait.
Comment maintenez-vous le sens du détail dans une ère où la production ne cesse de s’accélérer ?
Dès le départ, j’ai misé sur une croissance, où je baissais mes prix, afin de trouver une audience. On a fait le pari depuis 2012 d’être fabriqué en Europe à 100 %, ce qui est aujourd’hui un choix difficile. Je pense toujours à la qualité en amont de la conception de mes collections, de façon à livrer le prix le plus juste, dans le respect total de la production et d’une distribution qualitative. Et je n’ai pas de mannequin cabine, j’essaye toutes mes pièces, afin de m’assurer justement que les détails et les coupes sont exactement comme je les ai imaginés.
Officine Générale se veut éthique de l’approvisionnement aux podiums.
En France, on légifère pour que les transformations arrivent. Je pense qu’il ne faut pas attendre la loi, pour essayer de changer les choses. On a décidé de faire des blisters biodégradables, de produire en Europe, et de couper la chaîne de transport en ayant une logique très basique sur la sélection des matières premières.
Pour le stylisme de vos campagnes, vous travaillez avec Giovanni Dario Laudicina. Comment vous complétez-vous ?
Il me pousse dans mes retranchements. On dialogue beaucoup autour des références, et Giovanni a très vite compris qu’on était une marque française avec une inspiration très ancrée dans la réalité et ce Paris que j’aime tant. On parle beaucoup d’une attitude, d’une façon de porter les vêtements.
La suite ?
Notre business est à 100 % de vêtements, et en termes de silhouette, on a eu envie d’ajouter un sac, qui vient d’être lancé en boutique.
Par Anaïs Dubois
Photos Axel Vanhessche