Une mystérieuse jeune fille pulvérise le quotidien d’un écrivain en panne d’inspiration. Un thriller âpre et étouffant signé Fabrice Du Welz, avec un stupéfiant Benoît Poelvoorde.
C’est le fou furieux du cinéma belge, un polisseur de diamants noirs comme Calvaire ou Vinyan, un immense formaliste qui au fil des années a réalisé des œuvres sous influence, des films d’horreur du troisième type, des polars zinzins ou même une série B de blaxploitation. Ici, Fabrice Du Welz laisse au vestiaire ses obsessions de cinéphile déviant et signe un home invasion (un intrus infiltre la cellule familiale, comme dans Théorème ou Liaison fatale), son film le plus ouvertement grand public, un thriller viscéral, organique, qu’il agrémente quand même de références au giallo et au cinéma de Mario Bava ou de Dario Argento, avec arme blanche et éclairage rouge-sang. Écrivain d’un premier roman à succès, Marcel Bellmer (Benoît Poelvoorde) n’a jamais réussi à renouer avec le succès. Après une dépression qui l’a terrassé, il emménage avec sa femme (Mélanie Doutey) et sa fille dans le château de son beau-père, célèbre éditeur tout juste décédé. Toujours incapable d’écrire une ligne, il semble fasciné par Gloria, une jeune fille fougueuse qu’il engage comme femme de ménage. Il sent alors revenir en lui le feu qui lui avait inspiré son roman et glisse dans un piège infernal qui pourrait bien se révéler fatal…
NI AVEC TOI, NI SANS TOI
Dès les premières minutes, Du Welz attrape son spectateur à la gorge, serre avec son gant d’airain et ne desserre plus jamais l’étreinte. Il pousse tous les curseurs dans le rouge, accélère inlassablement, tandis qu’un bain de sang se prépare… Son film a la structure d’un thriller, avec coups de théâtre, fausses pistes et vrais chocs. Mais au-delà du thriller efficace, Du Welz parle du couple, du désir ou plutôt de la fin du désir, des mensonges, du poids de la famille, des secrets… « C’est un film sur la difficulté de vivre à deux et l’impossibilité d’être seul. Ni avec toi, ni sans toi, nous sommes tout le temps dans ce paradoxe, cette contradiction existentielle folle. »
Avec ce scénario à tiroirs, Du Welz déploie une mise en scène épurée, géométrique, avec une lumière sculptée par Manuel Dacosse, chef opérateur de L’Étrange couleur des larmes de ton corps ou d’Adoration, qui filme en Super 16. Au milieu de cette splendeur, Fabrice Du Welz révèle son principal atout, Benoît Poelvoorde, comme on ne l’a jamais vu, qui livre une de ses performances les plus hallucinantes. Il fracasse son image de comique allumé pour incarner un homme trouble, ravagé par le doute. D’habitude très pudique, il se met à nu dans tous les sens du terme et reste constamment crédible, que cela soit lors d’une scène de sexe avec l’excellente Mélanie Doutey ou quand il est terrassé par la passion. « Il a la dimension d’un Jean Gabin, d’un Michel Simon. C’est un géant. En France, il y a lui et Gérard Depardieu ! »
Le film se termine avec un magnifique générique de Tom Kan (le petit génie qui travaille avec Gaspar Noé ou les sœurs Wachowski), qui révèle, avec une sublime délicatesse, les ul-times secrets de l’histoire.
Hautement recommandé.
INEXORABLE
FABRICE DU WELZ
(EN SALLES LE 6 AVRIL)
Par Marc Godin