Vous êtes plutôt Ouigoflex, Max Actif ou tarif classique à 150 euros pour un Paris-Perpignan ? Depuis la mise en place de l’ultra-lucratif yield-management, la SNCF semble se remplir les poches en vidant les nôtres. Analyse avec l’économiste le plus speed de France.
Légende photo : GROS LOT_ Appliqué depuis 2007, le système de yield management a permis à la SNCF d’optimiser grassement ses recettes. L’heureux gagnant ? Son président, Jean-Pierre Farandou.
Pendant longtemps, les prix des biens jugés essentiels ont été administrés, c’est-à-dire fixés ou encadrés, par l’État. Déjà, l’empereur romain Dioclétien, en 301 après J.-C., avait fixé des prix sur plus de 900 marchandises. En France, les prix ont été volontairement administrés depuis la Deuxième Guerre mondiale sur un certain nombre de biens comme les transports, l’énergie, les médicaments ou les services postaux pour progressivement être abandonnés au profit d’une tarification plus dynamique que l’on peut communément qualifier de « yield management ».
RAPPORTS DE FORCE
La première chose qu’il faut bien avoir en tête, c’est que les prix ne se déterminent pas de façon naturelle. Ils dépendent principalement de rapport de force. Ce n’est pas par la force de la nature que la société dans son ensemble a jugé que dans le prix d’une paire de basket la fabrication ne valait quasiment rien, alors que le marketing ou le design allaient absorber quasiment la majorité de la valeur. Le fait qu’une star, qui n’a en rien conçu une basket ou un vêtement, s’approprie la majorité de la valeur du produit, juste en prêtant son image, est le fruit d’un rapport de force. L’organisation capitaliste de notre économie accorde plus de valeur au mannequin qu’à la couturière vietnamienne qui a produit la chaussure. C’est la loi du plus fort en économie de marché. Des prix administrés par l’État reflètent également ces rapports de force. Par exemple, le prix du timbre postal en 1840 a été basé sur le poids de la lettre, et non la distance, après de nombreux débats virulents. Idem pour les tarifs du kilowattheure pour l’électricité qui a été fixé, après de nombreuses discussions, de manière uniforme sur l’ensemble du territoire, alors même qu’il devrait être plus élevé dans les communes où il y a moins d’habitants. Le principe qui vise à donner le même prix à tous les usagers, en répartissant de manière équitable les coûts entre les usagers, s’appelle la péréquation tarifaire. C’est ce qui était appliqué au début aux billets de train de la SNCF.
TARIFICATION DYNAMIQUE
Mais cette tarification a été critiquée par de nombreux économistes (surtout les libéraux), obsédés par les lois du marché. Pour eux, il faut que le prix suive la loi de l’offre et de la demande. Il doit donc augmenter quand la demande dépasse l’offre, et diminuer lorsque l’offre dépasse la demande. Bienvenue dans la tarification dynamique (où le yield management) qui s’est généralisée notamment avec l’arrivée d’Internet. Cette tarification vise à fixer un prix individuel en fonction de l’offre et de la demande au moment de l’achat. Par exemple, si vous achetez votre billet à un moment où il y a peu de voyageurs, alors le prix va être plus faible puisqu’il faut remplir les trains. À l’inverse, le prix peut devenir très cher si vous achetez votre billet au moment où il y a beaucoup de départs. Si cette tarification peut paraître logique d’un point de vue théorique, elle se révèle injuste en pratique. Tout simplement parce que les vacances sont fixées pour beaucoup de familles par le calendrier scolaire. Les vacances de Noël et d’été voient donc les prix des billets fortement augmenter. Et même si vous n’avez pas d’enfants, beaucoup d’entreprises incitent leurs salariés à déposer leurs congés en juillet et août puisque leur activité est ralentie. Bref, un jackpot pour la SNCF.
Par Thomas Porcher