POST-TRUMP : MAIS DE QUOI LES HOMMES ONT-ILS PEUR ?

la peur des hommes

Vous aussi, vous l’avez remarqué, les hommes autour de vous sont devenus particulièrement balourds et chouinards depuis quelques semaines ? Notre reporter a essayé de comprendre pourquoi.

Légende photo : WOMAN SOFT POWER_ À en croire la dernière campagne d’Amina Muaddi, imaginée autour du female gaze, les hommes auraient tout à gagner à baisser d’un ton. Le message est mal passé auprès de certains de nos congénères mâles… encore réticents.

Backlash, retour de bâton, contre-coup ? Le 6 novembre dernier, quelques heures seulement après l’annonce de la réélection de Donald Trump, un tweet : « Your body, my choice. Forever. ». Vu plus de 95 millions de fois en une semaine et repris par des centaines de milliers d’internautes, ce slogan des plus évocateurs – piètre réappropriation de la devise féministe « mon corps, mon choix » – a été publié par Nicholas J. Fuentes, 26 ans. Désormais considéré par la toile comme super-influenceur, ce fervent supporter du républicain brille lui aussi dans l’art de la rhétorique misogyne et psychotique. De quoi fédérer un tissu de fans solides et dévoués, essentiellement composé de « Célibataires involontaires » plus connus sous le nom d’INCELS.

Eux, sont de jeunes masculinistes d’entre 15 et 35 ans, à la vie sociale restreinte, conduits par la sensation d’être victime d’une injustice. Un célibat accompagné de frustrations sexuelles qui leurs seraient imposés par les femmes. « Quand j’ai découvert ce phénomène, je me suis dit que c’était du délire, on a presque envie d’en rire, jusqu’au moment où on rentre dans la problématique. On comprend alors qu’il y a un vrai problème » témoigne Sandrine Lucchini – journaliste, autrice, et scénariste, qui leur a consacré une longue enquête et son dernier roman noir (Charlotte Chérie, Hachette coll. Black Lab). « À l’origine, ces profils reposent tous sur une faille narcissique. Ils sont persuadés de souffrir de facteurs génétiques qui influencent leur apparence et provoque leur mise en retrait du monde social » explique-t-elle. Un profond mal-être qui s’accompagne donc d’une réaction mécanique « celle du : haine de soi, haine de l’autre. » Les femmes, donc, en l’occurrence. Un ressentiment intime et subjectif stimulé au sein de ce que l’on appelle aujourd’hui la Manosphère.

QUE DE BONS NÉVROSÉS

Le discours ouvertement misogyne a connu une première montée en puissance dans les années 1960-70 avec l’évolution du droit de la femme et de sa condition. « Ces mouvements nous viennent des États-Unis, c’était l’époque Kramer contre Kramer, et de ces associations de pères qui se sont créées pour revendiquer leur place. Avec le temps cette défense de principe a dégénéré » explique-t-elle. Ce qui a pu sonner comme un premier signal d’alarme chez certains hommes, a implanté un sentiment de crainte au sein de leur génération. Celle d’une perte imminente de territoire, de pouvoir, d’influence, ou même de libertés masculines. Dans les années 2000, l’essor d’Internet a permis à la nébuleuse masculiniste de prospérer à grande échelle. Elle tire son succès de « l’utilisation de pseudonymes derrière des écrans, note Sandrine Lucchini, qui fabrique ce commun virtuel et donne l’illusion aux internautes d’être liés les uns aux autres. Cet effet de groupe a fait flamber la paranoïa chez les masculinistes. À l’origine ce ne sont que de bons névrosés et ça les a ralliés entre eux ». Une fonction paranoïaque qui leur donnerait l’impression de se réparer narcissiquement et collectivement, renforcée par l’évolution des moyens de communication. « Aujourd’hui ces mouvements sont sortis du darkweb, ils font du bruit grâce à l’émergence de toute une génération d’influenceur qui agissent sur les réseaux sociaux » poursuit l’autrice. Ainsi dans son dernier Baromètre du sexisme en France, publié en janvier 2024, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) notait que 52 % des hommes de 25-34 ans interrogés considèrent que l’on s’acharne sur eux. 37 % (+3 points) que le féminisme menace leur place et rôle dans la société, ou encore 32% (+3 points) pensent qu’ils sont en train de perdre leur pouvoir.

Ce qui aurait pu servir de fenêtre ouverte sur le monde pour ces jeunes hommes en mal d’amour, s’est donc vue détourné par la manosphère. Et ce à partir d’une formule simple et universelle : « Quand on est adolescent, on est en proie aux doutes, on s’interroge sur sa sexualité. Désormais Internet leur permet un accès rapide à l’information, du tuto pour apprendre à embrasser, au porno. Et il n’en faut pas plus pour que les algorithmes se chargent du reste. Les jeunes sont ensuite assaillis de contenus misogynes et il suffit alors que la personne soit fragile pour qu’elle se fasse embarquer vers les plus violents comportements ». En 2022, une étude menée par le Center for Countering Digital Hate révélait que sur un million de messages issus de forum en ligne masculinistes analysés, le mot « meurtre » ressortait toutes les 37 minutes et le mot « viol » toutes les 29 minutes. « Il y a vraiment la revendication de la masculinité comme étant une identité. Et c’est là que ça devient dangereux, explique Sandrine Lucchini, ça sous-entend qu’il faut protéger cette identité à tout prix et ça légitime alors tous dérapages. Y compris la levée de l’interdiction de tuer ».

TENDANCE ANARCHISTE

Dans Charlotte Chérie, Sandrine Lucchini a imaginé un personnage surnommé « Le Padre », qui symbolise la porosité entre la toile et le réel au sein des milieux masculinistes. À l’aide de ce personnage fictionnel, elle pointe comment ces nouveaux influenceurs ou guides numériques masculinistes outrepassent concrètement la toile pour orienter politiquement leur meute. « Si on ne peut pas affirmer que le vote masculiniste est d’un commun accord d’extrême droite, il n’en demeure pas moins extrême, affirme l’autrice. En Russie par exemple, les INCELS se sont dotés d’un chef pour créer un parti à tendance anarchiste, le Front de gauche antiféministe. Et aux États-Unis, Trump est lui aussi très soutenu par la sphère masculiniste. Ça a été un soutien majeur à sa réélection. Tous ces mouvements ultra, radicaux, politiques ou idéologiques, ont le but commun de déstabiliser l’ordre pour arriver à leurs fins, et c’est ainsi que naissent leurs alliances. » Alors, fini les bavardages en ligne et parlons pour de vrai : à l’intention des pipelettes mascus qui flippent de ne plus pouvoir draguer à l’ancienne (lire : comme des bourrins alcoolisés en fin de soirée) et de leurs voisins qui chouinent à chaque avancée de l’égalité salariale en entreprise, bonne nouvelle ! Tous les Français bénéficieront d’une séance de psy par mois, remboursable par la Sécu, à partir du premier janvier. Je vous booke un Doctolib ?


Par Margaux Seux