Derrière les grands hits de la rentrée littéraire, il y a des éditeurs en mal de reconnaissance (ah, l’ingratitude légendaire des artistes…). Pour une fois, honneur à eux. Top huit.
LUDOVIC ESCANDE
GALLIMARD BOY
Tonio Gallimard est jouasse : il a blindé sa rentrée littéraire pour ne pas rejouer le bide du Goncourt 2022 (Brigitte Giraud, lauréate avec Vivre vite, chez Flammarion – maison secondaire du groupe Madrigall appartenant à Antoine Gallimard – n’a pas fait les ventes escomptées). L’archimignon du moment ? Éric Reinhardt (auteur de L’Amour et les forêts, Comédies françaises…), qui avait quitté Stock pour Gallimard en 2013 dans l’espoir de décrocher un Goncourt (la Blanche, tout de suite, ça claque un peu plus). Dix ans qu’il l’attend, c’est enfin la bonne ? Confié à l’éditeur Ludovic Escande (grand ami et éditeur de Sylvain Tesson et de Karine Tuil, entre autres), le manuscrit de son Sarah, Susanne et l’écrivain a aussi eu droit à quelques corrections de Karina Hocine, puissante numéro deux de la Gallimard family. Rendez-vous au Drouant pour sabler le champomy ?
Sarah, Susanne et l’écrivain, Gallimard, 432 pages, 22 €
5 rue Gaston Gallimard, 75007
HUGUES JALLON
AU SEUIL DU SUCCÈS
Le bouche-à-oreille, y a que ça de vrai. Le bouquin-biographie d’Ivan Jablonka (traducteur doué, romancier poussif) Goldman, est sorti le 18 août, mais tous les critiques accrédités de la place parisienne murmuraient déjà son nom depuis les ides de mai. Résultat ? La bouille du musikos le plus consensuel de France, J.-J. Goldman, fait les Unes (L’Obs, Libération, Le Point…), et Jablonka, la tournée des interviews. Au Seuil, c’est Hugues Jallon, le président de la maison, qui s’est occupé de l’auteur-historien (Jallon a remplacé Maurice Olender, décédé en novembre 2022). On salue le joli tour. Même si JJ n’a pas apprécié le coup de com’ (le chanteur, à la retraite depuis plus de vingt ans, a refusé de participer aux fouilles de Jablonka et le fait savoir dans Le Canard)… À quand la bio Michel Sardou ?
Goldman, Seuil, 400 pages, 21,90 €
57 rue Gaston Tessier, 75019
VÉRONIQUE OVALDÉ
GLAM-LITT’ CHEZ ALBIN MICHEL
Moins de développement perso et plus de livres à prix. Avec l’arrivée de Gilles Haéri (en 2018) puis de Anna Pavlowitch (en 2022) à la direction du mastodonte de l’édition, les spécialistes du best-seller un peu flapi (Da Costa, Calestreme, Lisa Gardner…) ou du roman-maison porté par des noms à succès (Amélie Nothomb, Bernard Werber…), ont décidé d’amorcer un virage plus littéraire. Ces derniers temps, la maison indépendante a récupéré une dizaine d’auteurs (dont certains en quête d’indépendance face à la prise de pouvoir de Bolloré sur Hachette, le groupe d’édition de Lagardère), comme Tatiana de Rosnay, Serge Joncour, Pascal Quignard… Pour la rentrée, leur caution littéraire tient en deux noms : Claire Berest, dont L’Épaisseur d’un cheveu est édité par la romancière-éditrice Véronique Ovaldé, et le jeune primo-romancier Amaury Barthet (avec Le Diplôme). Good luck, camarades.
L’Épaisseur d’un cheveu, Albin Michel, 240 pages, 19,90 €
22 rue Huyghens, 75014
ISABELLE SAPORTA
FAYARD FAYOTE
C’est le retour du Petit Nicolas. Depuis deux ans qu’il trimait dessus, il l’a sorti en grande pompe, son bouquin-mémoire : interviews en Une du Fig mag et de Paris Match, sortie avancée, premier tirage à 200 000… Le tout publié dans la maison d’édition de ses copains Lagardère et Bolloré (Nicolas Sarkozy a rejoint le conseil de surveillance de Lagardère en 2020, groupe dont le milliardaire breton a pris le contrôle cet été) et sous l’égide d’Isabelle Saporta (il s’entend mieux avec elle qu’avec sa prédécesseure, Sophie de Closets, étrillée pour avoir fait paraître le livre-enquête Les années Sarko du duo Davet-Lhomme, les Tif et Tondu de l’avenue Pierre Mendès-France. Et le bouquin de Sarko ? Un ouvrage de 600 pages dans lesquelles, sorte de Saint-Simon du XXIe, il étripe la cour Macron et consorts. Un coup de com’ efficace qui permet à Fayard de remonter la pente (provoquée par la fuite de plusieurs auteurs à la suite du départ de Sophie de Closets), dans la lignée des ventes du Florent Pagny, du Prince Harry ou encore de la bio d’Elon Musk (à paraître en septembre). Le cadeau de Noël est tout trouvé.
Le Temps des combats, Fayard, 592 pages, 28 euros
13 rue du Montparnasse, 75006
STÉPHANIE POLACK
CHOC EN STOCK
Pendant que Manu [Carcassonne] – à la tête de la maison depuis le décès de Jean-Marc Roberts en 2013 – s’occupe de faire la promo de ses livres dans le métavers (et chez ces dames du Femina), son auteure phare fait son média-tour. Maria Pourchet serait-elle l’occasion de voir Stock décrocher un Goncourt (la maison n’a pas eu d’heureux lauréat depuis 1930…) ? Plus offensifs que leurs rivaux (Grasset et le Seuil sont un peu mous du genou depuis quelque temps), ils comptent dans leurs rangs l’attachée de presse omniprésente Alina Gurdiel et Stéphanie Polack, éditrice de Maria Pourchet (elle l’a chourrée à Gallimard du temps qu’elle était directrice littéraire chez Fayard), mais aussi de Blandine Rinkel, Aurélie Filippetti, Marien Defalvard… Bref, vivement leur rentrée de janvier 2024 !
Western, Stock, 304 pages, 20,90 €
21 rue du Montparnasse, 75006
FRÉDÉRIC BOYER
P.O.L. POSITION
Le graphomane le plus ambitieux (et sympathique) de Paris a encore frappé. Après le giga-récit de sa vie sexuelle, Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui (1000 pages sur ses rendez-vous coquins), Dreyfus, également pigiste de luxe chez les confrères (Eugénie Trochu lui a confié l’interview de Dua Lipa du Vogue de la rentrée), publie ces jours-ci le méta-roman La Troisième main. Derrière ce tour de force se trouve le nouvel homme fort des éditions P.O.L., l’écrivain Frédéric Boyer, nommé à la tête de ce fleuron du groupe Gallimard à la mort du fondateur Paul Otchakovsky-Laurens en 2018. Boudé jusqu’ici par les prix, Arthur se verra-t-il enfin récompensé pour tous ses efforts ?
La Troisième main, P.O.L, 496 pages, 24 euros
33 rue Saint-André des Arts, 75006
LISE BOËLL
PLON NATIONAL
L’obstination de Lise Boëll a eu raison de la double gouvernance à la tête de Plon (voir Technikart 261). La voici enfin seule en sa demeure (son ex-co-directrice Céline Thoulouze s’est vue offrir les éditions Récamier comme lot de consolation). Il faut dire que Boëll s’est bâti une redoutable réputation avec les succès de Dora l’exploratrice et des essais d’Éric Zemmour (oui, elle fait aussi bien dans la litté jeunesse que dans l’épouvante)… Chez Plon, elle sacrifie bien volontiers la rentrée littéraire (ça n’a jamais été leur créneau) au profit de bouquins qui font vendre et dont le lectorat est tout trouvé (Stéphane Bern et la reine d’Angleterre, Philippe de Villiers et Les Chouans, Eugénie Bastié et la polémique du moment…). Ajoutez à cela les bénéfices de la collection « Dictionnaires amoureux de… » et vous avez la recette d’une grosse machine à sous.
La Reine et la France, Plon, 160 pages, 20,90 €
92 avenue de France, 75013
OLIVIER NORA
TCHAO GRASSET
En signant la tribune du Monde en soutien aux journalistes du JDD (tandis que Geoffroy Lejeune était catapulté rédac’ chef de l’hebdo passé sous pavillon Bolloré), Olivier Nora a acté son opposition au Murdoch breton. Le message est clair : après dix-sept ans de bons, loyaux et discrets services (il n’est pas aussi hyperactif que son prédécesseur, le crack de l’édition Jean-Claude Fasquelle) à la tête de Grasset (groupe Hachette et donc propriété de Lagardère et bientôt de Bolloré), Nora fait ses adieux (même s’il a assuré à ses troupes il y a quelques jours qu’il « était là »). En attendant, le boss de Grasset signe une dernière rentrée littéraire avec Sorj Chalandon, ancien de Libé et plume du Canard enchaîné, candidat sérieux pour un Goncourt (il a déjà eu le Goncourt des lycéens en 2013 avec Le Quatrième mur). Pas de panique pour Nora, un joli poste l’attend chez Hachette.
L’Enragé, Grasset, 416 pages, 22,50 €
61 rue des Saints-Pères, 75006
Par Violaine Epitalon