À l’occasion des Olympiades Culturelles (JO 2024) et des 40 ans des Journées Européennes du Patrimoine (du 15 au 17 septembre), rencontre avec la metteure en scène et chorégraphe, Raphaëlle Boitel, qui a conçu, avec sa troupe la Compagnie l’Oublié(e), une performance sur les hauteurs du Palais Royal. Arpèges, circassiens et artistes du déplacement au rythme des Quatre saisons… Interview à couper le souffle.
Tu prépares en ce moment le projet « Horizon Palais-Royal ». Peux-tu nous en dire plus ?
Raphaëlle Boitel : C’est un projet qui s’inscrit dans une série commencée en 2019, de mise en lumière d’un patrimoine à travers une création plurielle, musicale, de danse, d’acrobatie, et de parkour à ciel ouvert, à la vue de tous, et gratuitement. Ce projet est mené avec la Compagnie que j’ai fondée en 2012, l’Oublié(e), dont la particularité est de fusionner les disciplines, entre le cirque (je suis dans la veine du « nouveau cirque »), la danse, le théâtre, le cinéma. Horizon Palais-Royal est un petit pas de côté pour nous, car j’ai ajouté, cette fois-ci, le parcours, qui ne faisait pas partie de la Compagnie.
Qu’est-ce que tu entends par « nouveau cirque » ?
C’est le cirque contemporain. Au tout début du nouveau cirque, j’étais interprète, je travaillais avec James Thierrée qui, avec ses parents, a participé à développer le cirque, encore très traditionnel il y a trente ans. Depuis vingt ans, le cirque est un des endroits les plus libres du domaine artistique, où on peut fusionner le théâtre, la danse, la musique, la performance. La ligne esthétique de la Compagnie l’Oublié(e), c’est d’être encore plus dans la fusion, de créer des interprètes polymorphes. Ainsi, selon les spectacles, il peut y avoir, par exemple, du texte sur scène, comme dans mon dernier (Ombres portées, ndlr.), mais c’est toujours autour du cirque, c’est-à-dire d’une discipline qui met au centre la virtuosité physique. Notre spécialité est d’occuper les trois dimensions d’un théâtre, d’utiliser les agrès du cirque, la virtuosité, et la performance. Dans mon travail, le corps est très présent, et il se met au service d’un propos.
Avec « Horizon Palais-Royal », c’est la troisième fois que tu prépares une performance in-situ, de mise en lumière et en mouvement d’un monument.
La première fois, c’était à l’Opéra de Bordeaux, en 2019. La seconde, à la Cathédrale Saint-Front de Périgueux, dans le cadre du festival Mimos. Cette année, c’est la première fois dans le cadre des journées du patrimoine, au Palais-Royal.
D’où t’es venue cette idée d’une création, en extérieur, autour d’un monument historique ?
Elle est née en 2019. Elle est partie de mon coup de cœur pour la discipline du parkour, ou free-run, art du déplacement, qui se sont fait connaître grâce aux yamakasi ; et de mon envie d’offrir un regard transversal sur un patrimoine, où l’on voit l’incroyable créativité de l’homme et de ce qu’il a construit. On a l’habitude de voir des patrimoines, là, on propose de les regarder avec des corps qui évoluent, avec cette idée d’ascension, aussi, de l’homme toujours en train de construire. C’est une ode à la liberté. Un jour, j’ai vu l’Opéra de Bordeaux et j’ai eu soudainement ce désir qu’on occupe les toits de ce lieu afin de décaler son image, où tout se passe à l’intérieur.
Pourquoi cette fois-ci avoir choisi le Palais-Royal ? Et comment a-t-il participé à la création du spectacle ?
C’est le comité des Olympiades Culturelles, qui avait vu qu’on avait un projet Horizon à la Cathédrale Saint-Front et qui a eu envie que l’on fasse quelque chose à Paris, dans le cadre de ces Olympiades. On a visité plusieurs lieux à Paris, notamment le Panthéon, que j’adore. Mais pour ce projet, plusieurs paramètres entrent en considération. Le Palais-Royal a une âme, il dégage une énergie très forte, symboliquement, il s’inscrit dans ma vision de la pluridisciplinarité, puisqu’il regroupe arts, architecture, et il a une histoire, notamment la révolution française. Aussi, il y a plein d’aspects techniques qui font du Palais-Royal, un site patrimonial exceptionnel, et à échelle humaine. On est sur les Colonnes de Buren, une œuvre également symbolique, en ce qu’elle est toujours ouverte au public, elle est déjà dans le partage – car, le but de ce projet, c’est de se rassembler, de tous regarder dans la même direction, un instant. Donc, il y avait toutes les choses essentielles qui font que ce projet peut exister, autant techniquement, que symboliquement, métaphoriquement, et du point de vue d’un public, dehors, qui passe, s’arrête, regarde.
Comment créer, préparer, répéter, une telle performance ?
C’est complexe. Et c’est aussi le but de ce projet : on offre au spectateur nos répétitions, qui sont toujours visibles (une moto passe, ndlr). Il y a une forme de mise à nu, où les spectateurs voient se créer le spectacle sous leurs yeux. Ça permet de montrer aux gens la difficulté, aussi, d’un tel projet, puis, c’est magnifique d’être à ciel ouvert. Là, c’est génial ce qui se passe, parce que ça fait deux semaines qu’on est au Palais-Royal, alors, parfois, les gens nous applaudissent, alors qu’on est en plein travail – il se passe quelque chose, il y a un retour direct qui est jouissif pour les interprètes –, ça nous encourage. Puis, le public voit le temps que demande de telles représentations, que préparer une phrase musicale très courte va, parfois, prendre une heure. Finalement, le but est aussi de partager le fait que la création demande du temps, de l’énergie, de la passion, à tous et gratuitement.
Quelle place à la musique dans ce spectacle ?
Très importante. Autant j’ai des spectacles en salle qui sont parfois dans une dramaturgie très poussée, autant là on est dans un ballet acrobatique à ciel ouvert. Un ballet relié par le sport et le cirque. C’est écrit en musique, de façon très précise. Il y a une partie de la musique écrite par mon compositeur, Arthur Bison, qui compose les musiques de tous mes spectacles, et, afin d’avoir un commun de la mémoire collective, j’utilise, également, la version recomposée des Quatre Saisons de Vivaldi par Max Richter, un compositeur contemporain. Ce sont des mélodies présentent à tous. Un lien se tisse alors entre la virtuosité des musiciens et des acrobates.
Est-ce que tu ressens un trac propre à ce genre de spectacle ?
Ce qui est très intense, c’est le peu de temps dont on dispose. Pour moi, ça demande d’être une sorte de chef d’orchestre qui ne s’arrête jamais de donner des directives à tout le monde. J’écris très précisément sur la musique, donc, je passe beaucoup de temps à décomposer, à donner de vrais timing musicaux. Je cours dans tous les sens. Pour eux, pour les personnes qui viennent du parkour, c’est un vrai challenge d’entrer dans le domaine artistique, d’être sur la musique et de compter ; ce ne sont pas de vrais danseurs, donc il y a de la transmission. La difficulté, pour eux, est de garder de l’énergie, car ce qu’ils font en demande énormément : ils sautent de grandes hauteurs sur les toits. Bien sûr, on ne prend pas de risque, on sécurise tout, mais la notion du risque est toujours présente, avec le vide à côté de nous – de là, le stress, oui, de se dire : va-t-on être prêt à temps ? C’est un gros projet à écrire, même s’il ne dure qu’une demi-heure, c’est riche.
Horizon Palais-Royal en trois mots ?
Vertige, liberté et espoir !
Horizon Palais-Royal, 1 représentation le 15 septembre à 19h00, 2 représentations le 16 septembre à 17h00 et 19h00 et 2 représentations le 17 septembre 2023 à 17h00 et 19h00. Palais-Royal à Paris, 8 rue De Montpensier, 75001 Paris.
Entrée libre et gratuite par la place Colette 1 heure avant chaque représentation.
Par Alexis Lacourte