Après des mois de restrictions vous n’avez plus de temps à perdre pour le cocktail en terrasse histoire de « faire connaissance » et privilégiez une rencontre plus punch, à domicile ? Technikart passe à la loupe votre révolution du dating.
« Les bars, grosse ambiance à la Fête de la musique, QG inestimables pour l’Euro, mais niveau dates… Merci, sans façon ! », pose Mathilde. Encore amère à l’évocation des confinements, du couvre-feu et de l’attestation de sortie, cette étudiante de 25 ans « profite à fond » du retour à la vie d’avant en rencontrant illico ses « targets » chez eux. « Moins de trajet vers la chambre à coucher », glisse-t-elle dans un filet de rire. Comme nombre d’entre nous, cet oiseau volage avait dû réviser sa love approach durant l’année écoulée. « Je rencontrais mes matchs aux soirées Possession, en faisant une expo, autour d’une bière de bistrot… Puis d’un coup, plus rien ». Décidée à cultiver sa vie sentimentale et sexuelle malgré la chape de plomb sanitaire, Mathilde a bravé l’interdit pour se rendre à l’adresse d’inconnus, entre octobre et juin derniers, avec une idée claire en tête : « Ça passe ou ça casse ». Et la plupart du temps, c’est passé. Résultat : notre céli-resistante se réjouit de la réouverture des lieux de convivialité mais refuse de « retourner à la formalité du premier verre » pour conclure. « Des contraintes d’hier sont nées mes habitudes d’aujourd’hui ; trop longtemps on s’est tourné les pouces en regardant les moisissures de nos plafonds. Maintenant il s’agit de vivre vite et fort ». Boum.
PARTIE DE JAMBES EN L’AIR
En envoyant valser l’idée selon laquelle le « premier verre » serait un passage nécessaire – pudeur et prudence obligent –, Mathilde renverse un principe sacro-saint du dating. Dans Sex@mour, le sociologue Jean-Claude Kaufmann détaille à quel point ce rendez-vous fonctionne de manière codifiée, normée, ritualisée sous ses apparences spontanées. Une pratique muée en must social au fil des ans, dont le principe « je t’invite, et tu peux refuser » découle de l’invention des dancings américains dans les années 1920 – période d’émergence du system dating. À l’époque les William proposaient aux Dorothy un charleston en duo, désormais on offre une mousse à la brasserie d’à côté. Même mécanique.
Mais le Covid est passé par là. « Beaucoup de choses ont été bouleversées », résume Jean-Claude Kaufmann. Avant d’ajouter : « Cette crise va fortement influencer l’avenir, certains pourront par exemple préciser leurs attentes en sautant l’étape du verre, s’ils sont intéressés par une rencontre sexuelle ». Cap qui permettrait, au passage, d’en apprendre plus sur l’autre, par-delà la savoureuse perspective d’une partie de jambes en l’air. Après tout, rappelle Gérard Ribes, sexologue et psychiatre, « le sexe n’est pas juste un acte, mais une relation avec un avant, un après, un souci ou non-souci du partenaire… » – bref, une myriade d’indices qui tracent autant de « voies vers la connaissance » d’autrui. Fais-moi l’amour et je saurai si ça match, en somme.
DYNAMITAGE PAR LE FOND
L’intérêt d’une approche aussi frontale ? « Être tout de suite fixé », déclare Mina. « Siroter des mojitos en parlant de nos enfances respectives, c’est bien, mais coucher, questions brise-glace et projection dans l’avenir, c’est mieux », soutient cette serveuse de 27 ans qui, d’ailleurs, n’exclut pas d’enfiler des pintes avec ses partenaires… une fois l’épreuve de la couette passée. « On est typiquement dans un cas de réappropriation des jalons de la rencontre amoureuse », commente Géraldyne Prévot-Gigant, psychopraticienne et auteur de La Force de la rencontre. « La crise du covid a ouvert le champ des possibles. Avec elle, beaucoup ont découvert qu’ils vivaient jusque-là en demi-teinte, au ralenti et s’émancipent désormais des règles en refusant de s’enfermer dans le respect des étapes normatives du dating ».
Un dynamitage par le fond de ce process bien huilé induit par la hâte de renouer avec des délices oubliés. Durant les confinements, le nombre des utilisateurs d’applis a bondi. « Certains romantiques ont redécouvert les vertus du temps long en s’enflammant à travers des tchats interminables, mais d’autres, bien plus nombreux, ont rongé leur frein ». Grâce en soit rendue à Castex, ces frustrés d’antan ont recouvré leur liberté chérie. Et, pour ceux-là, l’urgence est d’accélérer la cadence afin de rattraper les heures perdues. « On peut s’attendre à un effet élastique, il y a de l’électricité dans l’air », souligne Géraldyne Prévot-Gigant. À année de privation exceptionnelle, saison estivale d’exception exigée. Aussi l’été 2021 est-il annoncé en fanfare par les plateformes de rencontre comme un « Summer of Love » sans précédent. Lequel passera, peut-être, par un affranchissement massif vis-à-vis de l’archaïque « premier verre ». Alors, prêts à réinventer ensemble la first date ?
Par Antonin Gratien
Photo Alexandre Lasnier