SAINT-JEAN-DE-LUZ : UN POLAR TAMOUL MADE IN FRANCE

Little Jaffna de Lawrence Valin

L’enquête d’un flic infiltré au sein d’un gang de truands tamouls. Un premier film en forme de promesse, boosté à l’adrénaline, avec des comédiens non-professionnels tamouls. Rencontre avec son acteur et metteur en scène, Lawrence Valin.

Sur votre premier long-métrage, Little Jaffna, vous êtes à la fois comédien, scénariste et réalisateur.
Lawrence Valin: J’ai commencé par être comédien, mais le cinéma français ne ne me donnait pas de rôle.

À cause de votre couleur de peau ?
Entre autres. J’étais tout le temps renvoyé à mes origines et je jouais l’Indien de service. Au début, j’étais content d’avoir plein de rôles, mais au  bout de deux ans, je m’aperçois que je ne parle jamais français dans les films, que mon personnage n’a même pas de prénom. Je joue un fakir, le meilleur ami indien, un épicier, un vendeur de roses… J’étais réduit à cela. Quand Jacques Audiard a mis en route Deephan, j’étais comme fou, persuadé que j’allais devenir le nouveau Tahar Rahim. Je passe les castings et  trois mois plus tard, je reçois un coup de fil qui me dit que suis pris pour de la figuration. C’est la désillusion, car j’avais passé des essais pour le rôle principal. J’ai laissé tomber… Le film a reçu la Palme d’or et je me suis  demandé qui après Audiard allait faire un film avec un franco-tamoul en vedette ? Personne ! Depuis, on a eu des Tamouls qui cuisinent dans Le Sens de la fête, un colosse en maillot de bain qui ne parle pas français dans Le Grand Bain. Ça, c’est la représentation que l’on a de nous au sein du cinéma français. Je suis né ici mais comment puis-je m’identifier à ces personnages ?

Donc vous avez décidé de mettre en scène ?
Je fais du cinéma pour m’écrire des rôles, je suis devenu réalisateur par défaut. J’ai fait le programme La Résidence de la Fémis, un cours d’un an pour les autodidactes. J’ai appris à écrire, réaliser, j’ai eu quartier libre et j’ai signé le court-métrage Little Jaffna. Le court a été présenté au festival de Clermont-Ferrand où j’ai eu le prix Canal+. J’ai enchaîné avec un moyen-métrage, un Ghost Dog tamoul. J’ai commencé l’écriture de mon long-métrage en 2017 et j’ai bossé cinq ans.

Est-ce que vous êtes le fils illégitime de Martin Scorsese et de S.S. Rajamouli, réalisateur de RRR ?
(Rires) Pas mal ! J’ai grandi avec le cinéma Kollywood (le cinéma tamoul, Bollywood étant l’industrie du cinéma nord indien basée à Bombay, avec des films en hindi, NDR). Les spectateurs viennent voir des films avec des séquences extraordinaires, ultra-efficaces. Il y a des traces du cinéma tamoul dans le film, notamment dans les scènes de baston ou le double cut (la même scène est montée deux fois, appelé également le cut de Madras, NDR). C’est du cinéma français, mais différent. J’ai été aussi marqué Gangs of Wasseypur, un film Bollywood de Anurag Kashyap, avec des gangsters. Et j’aime la folie de Quentin Tarantino ou le côté burlesque du cinéma coréen.

Votre film décrit un flic immergé au sein de la mafia tamoule dans Paris. C’est inspiré de faits réels ?
Il y a des faits réels, notamment des collectes pour récolter de l’argent pour les Tigres tamouls du Sri Lanka, en 2008-2009. C’est documenté. Mais moi, je pars de cette réalité pour aller ailleurs, et j’ai mis en place mon univers. Il n’y a pas à Paris de parrain comme celui qu’interprète Cela Ramamoorthy, clairement inspiré du film de Francis Ford Coppola.

Vous avez une autre grosse vedette indienne, Rachida Sarathkumar.
Ils ont été tous deux séduits par le scénario et ont été à fond sur le projet. Et cela m’a donné une grosse crédibilité auprès de la communauté tamoule. Tout le monde voulait un selfie avec eux.

Le choc du film, c’est le casting, tous des Tamouls. C’est un gros coup de vent qui souffle sur le cinéma français, comme à l’époque du Prophète de Michel Audiard.
J’avais vraiment cette soif de nouveaux visages. Ils sont quasiment tous non-professionnels. Ils jouent avec leurs tripes. On les a coachés pour souder le groupe jusqu’au tournage. Le casting était fondamental et on a trouvé des gens magnétiques, comme le comédien qui joue Puvi.

Combien de temps avez-vous tourné ?
On a eu quarante jours de tournage et un budget de cinq millions, alors que nous n’avons pas de tête d’affiche. Les producteurs y ont cru. J’ai pensé à ce film comme mon dernier, comme cela, je n’avais rien à perdre. J’ai donc fait tout ce que j’avais envie de faire, même des trucs too much. Pour les entrées, je veux faire autant que Danny Boyle avec Slumdog Millionaire.

Vous écumez les festivals.
On a fait Venise, Toronto, Namur, Zurich, on est à Saint-Jean-de-Luz et on a treize festivals à venir…

Est-ce que votre statut a changé au sein du cinéma français?
En tant que comédien, je n’ai aucune proposition. J’ai fait un film avec des gens de ma communauté, j’ai ouvert une porte, maintenant, c’est à d’autres de poursuivre. Je vais refaire un film de gangsters, mais pas sur la communauté tamoule. Il faut d’autres récits, d’autres modèles. Je veux bosser sur un film de cavale avec de grosses vedettes françaises, un gros blockbuster où j’aurai le rôle principal. Moi, je veux devenir le Denis Villeneuve ou le Christopher Nolan français !


Little Jaffna
de Lawrence Valin
Sortie en salles au mois de février 2025


Par Marc Godin