Ils sont la révélation de Suprêmes, le biopic consacré au duo le plus sulfureux du rap français. Théo « JoeyStarr » Christine et Sandor « Kool Shen » Funtek sont venus répondre à nos questions street et luxe. Entretien freestyle.
« On a encore du mal – parfois ! – à se décrocher de nos personnages» nous disent les deux jeunes acteurs les plus buzzés de cette fin d’année. À l’affiche de Suprêmes, le très-attendu biopic retraçant les débuts de NTM, Théo Christine réussit à s’approprier pleinement les nombreuses facettes du jeune Didier Morville. Quant à Sandor Funtek, il offre une dimension cinématographique à Kool Shen auquel on ne s’attendait pas. Les deux révélations de Suprêmes, le nouvel Audrey Estrougo (big-up à la co-scénariste Marcia Romano) arrivent très à l’aise, l’un en survet’, l’autre en casualwear de luxe… Déjà repérés à l’international (The Story Of My Wife, film hongrois avec Léa Seydoux et Louis Garrel pour Sandor, Summit Fever pour Théo), ils nous reçoivent à quelques semaines de la sortie du film. Et chantonnent, avec un calme presque inquiétant, « qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? »
NTM, que vous incarnez dans Suprêmes, ne se sont mis à porter des bijoux qu’au bout de plusieurs albums. Quel est votre propre rapport au « street-luxe » ?
Théo Christine : J’ai toujours porté des fringues où j’étais très à l’aise, mais j’étais pas trop dans le hip hop avant. J’étais souvent en short et t-shirt. Mais je ne veux pas être considéré comme un rappeur non plus, donc j’essaye de porter des choses un peu plus « habillées ».
Et toi aussi tu découvres cet univers, Sandor ?
Sandor Funtek : Non, moi je suis banlieusard, donc je me suis toujours sapé « street ». Je mettais des Air Max. À l’époque, c’était à cause de cette paire que tu te faisais recaler de boîte et non l’inverse. Donc j’ai toujours trouvé la récup’ logique parce que fatalement c’est lié au hip hop, qui est la musique qui se vend le plus au monde aujourd’hui.
Et justement qu’est-ce que vous pensez du luxe qui s’approprie de plus en plus le style hip hop ? Sachant qu’il n’y a pas si longtemps, des rappeurs comme Kanye West et ses Yeezy, se voyaient refuser des collab avec des marques comme Nike.
Sandor : Je pense que de tout temps, l’idée des marques de luxe que les gens ne peuvent pas se payer vaut aussi pour les autres marques comme Nike qu’ils ne peuvent pas non plus s’offrir. Maintenant, le fait que le luxe s’accapare un peu le truc, d’après moi c’est une suite logique, un business plan évident. Ce n’est ni bien ni mal et, dans l’absolu, je comprends pourquoi ils ont voulu faire ça : ils savent très bien qu’ils vont faire du cash.
Théo : C’est ça, et puis c’est la mode, ça change, en ce moment ça reprend souvent des styles 1970-1980 par exemple.
Vous vous êtes connus grâce au tournage de Suprêmes. Comment vous êtes-vous retrouvés sur ce film ?
Sandor : J’avais vu une annonce sur Facebook. Après on a passé des essais. Audrey Estrougo nous a permis de faire une sorte de stage d’une semaine dans un théâtre où nous étions convoqués tous les jours. Il y avait cinq prétendants à Kool Shen et cinq à JoeyStarr, en mode Un, Dos, Tres. Et tous les jours il fallait chanter, essayer de rapper. Elle essayait d’élaguer un peu au fur et à mesure pour faire ressortir les personnes qui correspondaient le mieux.
Théo : Il y avait une très bonne ambiance, quelque chose de fédérateur, qui nous a rassemblé. Mais il y a toujours quelque chose dans ta tête qui te dit « ils sont gentils mais il faut que ce soit moi ».
Est-ce que vous avez peur d’être éternellement associés à NTM après avoir incarné un telle légende du rap français ?
Théo : On essaie de faire attention à ça, si on nous demande de rapper lors des interviews ou autre, on refuse. Donc ça ne me fait pas particulièrement peur, parce que j’ai confiance. Je sais qu’on va faire d’autres projets, et que si on travaille vraiment et qu’on arrive à convaincre les gens, ça passera.
Pourquoi avez- vous eu envie de jouer dans ce film ?
Sandor : Déjà, parce que ça demande un travail de réel investissement, de composition, un travail de forcené. Le rôle n’a pas été façonné pour nous. Quand elle nous a casté, nous n’étions pas encore choisis. On savait qu’il y avait un chemin assez long, périlleux, pour arriver où on voulait. C’est-à-dire à un état de ressemblance, de transcendance, pour que n’importe qui puisse y croire. Et c’est ça qui était excitant pour nous.
Est-ce que ça met la pression de jouer deux légendes encore en vie ?
Théo : Oui bien sûr, surtout que je ne connaissais pas forcément toute la disco de NTM, la manière dont ils ont fédéré une génération, etc. Donc quand je m’en suis rendu compte, notamment grâce à Sandor, je me suis dit « ok, c’est plus qu’un rôle en fait ». C’est comme des couches d’oignon. Par exemple, un jour on a fait une impro, on devait faire comme si on entrait en boîte pour voir comment on se comportait. Je me souviens que la prof de danse me disait que je bougeais trop.
Sandor : En fait, il y a des codes à apprendre, une époque à retranscrire. Et au-delà d’être renseigné, il faut que tu aies compris la couleur de cette époque, il faut la vivre. On a appris le langage, la manière de se tenir. Quand on rentrait en boîte ce n’était pas comme aujourd’hui.
Donc toi Théo, tu ne connaissais pas trop NTM avant le film ?
Théo : Non pas trop. Je connaissais de nom, j’ai un pote qui m’avait passé une playlist dans un mp3 et on y trouvait « Qu’est-ce qu’on attend », « Laisse pas traîner ton fils », etc. Donc j’avais un peu écouté mais sur le moment ça m’avait parlé, je m’en souviens.
Joey Starr et Kool Shen sont venus sur le tournage. Avez-vous travaillé vos personnages directement avec eux ?
Sandor : Oui ! On les a rencontrés en amont. Ensuite, on a eu l’occasion de les suivre en tournée pour pouvoir les observer un peu dans leur milieu. Et après ça, on a commencé le travail, les répétitions de concerts, parce que le parti pris était qu’on chante et qu’on danse vraiment. On ne voulait pas de playback sinon nous n’aurions jamais pu retranscrire l’énergie réelle. Et les deux rappeurs sont venus après sur le tournage, quand le travail était déjà bien avancé, pour nous rassurer et nous donner leurs conseils. Ça a plus été une formation en répet’ que sur le plateau de tournage.
Théo : Ils sont venus deux ou trois fois et ils nous ont dit : « Il y a encore de quoi mettre son grain de sel dedans ». Et petit à petit, ils nous ont assuré que nous étions prêts.
Quel a été leur retour sur le film ?
Théo : Didier a adoré ! Il a dit avoir miaulé trois fois. Il a été hyper ému et touché. Il m’a dit mot pour mot : « Merci messieurs pour votre générosité ».
Sandor : Kool Shen pareil, il était super ému. Il est beaucoup plus pudique. C’est d’autant plus touchant quand on sait qu’il est plus en retrait. Du coup, quand il nous appelle et qu’il nous dit : « Les gars je viens de voir le film, vraiment bravo, ça déchire », tu dis, ok, wahou.
Vous ne vous êtes pas sentis trop bridés par la supervision des deux stars ?
Sandor : Non, mais tu sais que tu n’as pas une liberté totale étant donné que le but, quand même, c’est d’être crédible. Donc tu ne peux pas trop improviser ou tout ramener à toi.
Théo : En tout cas, pas au début. Une fois que tu as bossé un an le personnage, tu peux te permettre. Mais ce n’est pas « être bridé », c’est le film qui le veut. Tu te dois de coller à un truc. Mais on s’est quand même sentis relativement libres.
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Par Margot Pannequin
Photo Anaël Boulay
MAKE-UP Elisabeth Doucet
HAIR Olivier Zaoui