SEB EMINA : « JUSQU’AU DERNIER MOT… »

Seb Emina technikart

Rédacteur en chef du plus distingué et beau des magazines littéraires, The Happy Reader, plume de Fantastic Man et The Gentlewoman, et auteur de la newsletter Read Me, Seb Emina a accepté d’interrompre ses lectures proustiennes pour nous donner ses tips.

Né dans le Wiltshire et élevé dans le South East London, Seb Emina voulait devenir écrivain. Il n’est pas tombé loin. Ses études de littérature anglaise, sa passion pour les oeufs au plat et sa rencontre avec les Néerlandais Gert Jonkers et Jop van Bennekom de Fantastic Man, l’ont guidé vers un métier voisin : rédacteur en chef du Happy Reader, magazine littéraire britannique indispensable (publié par les éditions Penguin), dont le dernier numéro est paru en été 2023 après dix années d’existence. Installé à Paris depuis dix ans, mais réfractaire de la langue française – commander un Coca fut un exercice de style –, Seb Emina contribue aujourd’hui à une palanquée de titres étrangers (The Gentlewoman, A Fucking Magazine, MacGuffin…), monte des projets radiophoniques et tient sa newsletter, Read Me, sur Substack. Entretien very niche.

Vous vivez à Paris depuis dix ans. Quels médias avez-vous découvert ici ?
Seb Emina : Les Inrocks et Télérama, qui sont utiles, ou Autoroute du sable, un petit magazine littéraire. Mais la plupart du temps, c’est plutôt le New Yorker, et Cabinet Magazine – très dense, très informé.

Si je déménage à Londres, quels médias de votre enfance puis-je lire ?
À part The Guardian, je lisais surtout Time Out. Leurs critiques musicales m’ont donné un aperçu, tout à fait superficiel mais fascinant, de la culture underground. Ils m’ont fait découvrir le grunge par exemple.

Le premier magazine que vous avez acheté ?
J’étais obnubilé par la musique alternative. Après avoir passé trois jours à dévorer Melody Maker, j’achetais NME… 

Vous êtes un lecteur obsessionnel ?
Je m’étais lancé le défi de m’abonner à un magazine et de lire chaque numéro, jusqu’au dernier mot. Je l’ai fait dans ma vingtaine avec la revue littéraire Granta. Puis avec Artforum et la London Review of Books dans ma trentaine.

Parlons littérature. Durant vos études, vous participiez à un atelier d’écriture animé par le poète Simon Armitage. Vous vouliez être écrivain.
Oui. Et la première fois que j’ai gagné de l’argent avec ma plume, c’était en écrivant un article pour un site monté par un autre poète, Neil Rollinson. Il m’a donné 30 pounds. J’étais très honoré.

Et puis vous êtes devenu Malcolm Eggs…
J’ai créé une sorte de blog, « London review of breakfast ». Je faisais des critiques des petits-déjeuners. Je prenais ça très au sérieux, comme si je devais traiter du dernier livre en vogue. Parler de gastronomie, c’est parler de tout à la fois. Très vite, il y a eu beaucoup de lecteurs, puis une centaine de contributeurs – j’ai découvert le job de rédacteur en chef… –, et j’en ai fait un livre, The Breakfast Bible.

Grâce à ce livre, vous avez été repéré par Gert Jonkers et Jop van Bennekom de Fantastic Man. Vous contribuez au magazine, et on vous propose ensuite de devenir rédacteur en chef du Happy Reader.
Ce magazine est né d’une collaboration entre les éditions Penguin et Fantastic Man. Penguin Books voulaient appliquer la folle esthétique de Fantastic Man aux œuvres classiques de leur maison. On a donc fait dix-neuf numéros avec des entretiens de vingt pages de nos cover-stars (Ethan Hawke, Grace Wales Bonner, Tilda Swinton… ndlr) et une partie sur une œuvre littéraire : que vous ayez déjà ouvert ou non un Virginia Woolf, vous appreniez toujours quelque chose.

Aujourd’hui, votre newsletter Read Me, c’est une façon de poursuivre ce projet ?
Oui, c’est une sorte de petit magazine culturel, composé d’interviews courtes, de critiques, d’une mosaïque de découvertes (des sites web improbables), des angles insolites (« possédez-vous une clef qui ne sert à rien, et pourquoi ? »)… Je m’amuse.

Enfin, vous avez une série de projets artistiques en lien avec la radio.
Pour le fonds d’art français Lab’Bel, je co-organise « Five Radio Stations », une série d’œuvres d’art qui sont aussi des stations de radio, avec les artistes Claude Closky, Jenny Odell, Nico Vascellari… J’en ai moi-même fait un l’an dernier avec Daniel Jones. C’était une station inspirée de Georges Perec qui partageait des « nouvelles infraordinaires » en temps réel.

 

Par Violaine Epitalon
Photo Axel Vanhessche